C’est la rentrée, et après un mois d’Aout assez catastrophique au niveau économique, Septembre ne promet guère mieux. Les éditeurs de jeux vidéos, entrés dans la crise un peu plus tard, n’ont même pas connue l’accalmie relative, puisque les licenciements massifs ne se sont  jamais vraiment interrompus.


Apres la traditionnelle mollesse estivale, la GamesCom a relancé les annonces sur les lineups que les éditeurs s’apprêtent à sortir en fin d’année. Nous aurons le plaisir de vous faire découvrir la semaine prochaine le Tokyo Game Show (et peut-être le Tougeki), mais avant cela voici la traduction d’une interview d’Eric Hirshberg, CEO de la division Activision Publishing depuis maintenant un peu plus d’un an. Elle a été réalisée par GamesIndustry durant le salon Allemand.


GamesIndustry.biz : Une nouvelle licence, Skylanders : Spyro sera donc un des fers de lance de la série de titres qui arrive, aux côtés de Call of Duty et des produits Blizzard ?

Eric Hirshberg : C’est le but, oui : Nous avons aussi notre projet avec le studio Bungie (développeur de Halo). Bungie a un très bon historique de titres. Nous faisons un projet plutôt ambitieux avec eux qui sera aussi certainement un des fers de lance.


Nous avons Call of Duty Elite – Je sais que vous ne le considérez peut-être pas comme séparé de CoD, mais c’est un studio de développement différent, un chemin d’investissement différent et un flux de revenus différent. C’est un logiciel très innovant. Il permettra de voyager et migrer depuis beaucoup de plateformes différentes et cela affectera vraiment le jeu.


Nous avons Prototype 2 qui arrive. Les gens oublient que Prototype est la nouvelle licence qui s’est le mieux vendue l’année de sa sortie. Lancer une nouvelle licence est la chose la plus dure dans ce métier. Je pense que neuf des dix jeux les plus vendus l’année dernière étaient basés sur des franchises existantes.


Nous ne le faisons que lorsque nous pensons que nous avons une idée vraiment révolutionnaire et un avantage compétitif. Nous avons ce sentiment à propos de Skylanders, nous avons eu le même avec Bungie. Nous pensons que nous pouvons faire croitre Prototype. C’est évidemment un public de joueurs (c’est un jeu grotesque, ultra-violent, beau) qui n’est évidemment pas destiné à tout le monde. Il attire vraiment les gens qui y jouent, et nous pensons pouvoir croitre sur cette base.



La baisse du nombre de nouvelles licences et l’abandon d’anciennes est quelque chose  que nous avons observé dans l’ensemble de l’industrie. Elle était évidemment due ne serait-ce qu’en partie aux circonstances économiques, mais aussi à un marche qui change. Pensez-vous que nous reverrons un jour les grands éditeurs un peu moins précautionneux à lancer de nouvelles licences ?

Le point que vous n’avez pas mentionné sur les acteurs du changement est les joueurs ! Les joueurs semblent vouloir passer plus de temps et explorer plus en profondeur moins de jeux. Ils jouent davantage, toutes les mesures que ce soit le nombre de joueurs uniques, le nombre d’heures passées sont en hausse. La base de consoles installées est en hausse.


Si vous regardez tous ces graphiques, il est difficile de dire que la cause vient des turbulences économiques, parce que les gens continuent à acheter de nouvelles Xbox et PS3 à un niveau record. Nous avons 20 Millions de joueurs uniques sur Call of Duty chaque mois. Le changement vient du fait que les jeux aient gagné en profondeur, et comme nous l’avons vu avec le virage vers le jeu en ligne, la durée de vie des jeux est beaucoup plus longue que par le passé.


Ce qui n’est pas mis en avant souvent est que nous avons aussi créé beaucoup d’emplois.


Je pense que, autant que le reste, la demande pour de nouvelles licences a baissé. Il y a quelques années, quand la durée de vie ne pouvait être étendue ad vitam aeternam via le jeu en ligne, vous achetiez un jeu, terminiez la campagne, exploriez les différents modes de jeu. Peut-être le referiez-vous une deuxième fois, mais après ce serait terminé. Il y a très peu de jeux, à part peut-être les jeux de sport comme Madden ou FIFA auxquels vous continuiez à jouer toute l’année.


Mais maintenant vous voyez que de plus en plus d’éditeurs font le choix de stratégies contenant des DLC et beaucoup plus de jeux en ligne. C’est quelque chose que nous apprenons des joueurs. Le fait que ça fasse partie d’une licence existante ne signifie pas pour autant que ce n’est pas innovant, que ça n’apporte pas de nouvelles idées.


Call of Duty Elite est un bel exemple d’un nouvel investissement lourd dans une franchise existante. A l’intérieur du jeu en lui-même (pour Mordern Warfare 3), le mode Special Ops a été complètement réinventé, il y a de nouveaux modes de jeu multi joueurs, évidemment une nouvelle campagne (vous pouviez vous y attendre). Le fait que ce soit dans une franchise existante ne signifie pas qu’il manque de nouveautés pour l’industrie.

 


Mais la baisse du nombre de licences d’importance intermédiaire vous sert plutôt bien n’est-ce pas ?

Je ne sais pas, je n’ai pas de préférences particulières. Je pense que lorsque les recettes étaient partagées sur beaucoup plus de titres, c’était aussi plutôt bien ; il était amusant de concourir sur plusieurs catégories. Je pense que notre approche est de se concentrer sur davantage d’innovation, d’investissement, de profondeur de gameplay sur nos meilleures idées et nos meilleures opportunités. Cela vaut pour les licences existantes comme CoD et les nouvelles comme Skylanders.


C’est vraiment le baromètre pour nous, nous pensons que nous avons quelque chose d’unique, de différenciant, qui donne aux gens une expérience unique. Ce que nous faisons n’est pas étaler nos jetons sur toute la table et essayer de participer a toutes les catégories.

 

 


Il y a eu beaucoup d’emplois supprimés et de fermetures cette année, c’est un processus qui continue ?

Il y a beaucoup de gens avec qui nous retravaillerions volontiers si l’opportunité se présentait. Ce sont des décisions que vous ne voulez jamais prendre, vous ne voulez jamais faire ce genre de choses, malheureusement c’est la réalité du business.


Ce qui est rarement mis en avant est que nous avons aussi crée beaucoup d’emplois. Nous avons créé Beachead pour construire CoD Elite, ce sont de nouveaux emplois. Nous avons agrandi les studios qui travaillent sur Call of Duty, nous avons créé évidemment beaucoup de travail avec Skylanders. Tout ce que j’ai mentionne ci-dessus dispose de ses propres ressources : il y a Toys for Bob qui travaille sur la version console, Vicarious Visions pour la 3DS, d’autres développeurs avec qui nous sommes en partenariat pour le mobile et le online.


D’un cote nous avons donc du faire des coupes là où nous perdions de l’argent, mais nous avons aussi créé de nouveaux postes et nous sommes agrandis là où c’était nécessaire. Ce n’est pas un processus en cours, nous avons fais ce que nous devions faire en début d’année quand nous avons décidé de ne pas faire Blur 2 et d’arrêter la production de jeux sur la licence Guitar Hero qui avaient pourtant été annonces.


C’était la bonne décision. Ca ne signifie pas que Guitar Hero ne reviendra pas. C’est une licence et une marque incroyablement forte et appréciée, mais avec le modèle actuel, ces jeux ne pouvaient plus être profitables.

 


On était persuadés que Freestyle Games allait être fermé, mais il a été sauvé. Qu’est qui a change cette décision ?

Je ne suis pas en mesure d’annoncer quoi que ce soit, mais il arrive que ca se produise. Je pense que les gens ont l’impression que ces périodes d’analyse et de consultation amènent à une fermeture systématique comme si c’était un fait accompli. Parfois, comme dans le cas de Bizarre, ce fut le cas. Parfois, comme dans le cas d’UFG, nous avons été capables de trouver un acheteur pour le travail qui avait déjà été fait sur True Crime et ils ont été capables de garder ce groupe soudé et d’achever leur vision. Nous ne pouvions pas être plus heureux et nous avons beaucoup travaillé pour créer cette opportunité.


Nous avons quelques opportunités dans la boucle pour FreeStyle. J’ai une très, très haute estime de ce studio et du talent créatif qu’il contient. Nous faisons tout ce qui est en notre possible pour conserver l’intégrité du groupe.

 


Quel est le processus que vous entreprenez lorsque vous décidez si un studio ou des employés doivent passer à la trappe ? Est-ce une logique purement financière ?

Non, ce n’est pas le cas. Evidemment nous sommes redevables de nos actionnaires et nous devons avoir une activité rentable autant que possible. Mais c’est un métier créatif et la route vers la profitabilité fonctionne main dans la main avec l’excellence créative.


Le processus d’analyse prend en compte non seulement la performance sur le marché actuel mais aussi le potentiel. Dans le cas de Blur par exemple, j’ai pensé que Blur était un très bon jeu. Je pense que Bizarre a fait un travail exceptionnel. Quand nous avons donné le feu vert à ce jeu, la catégorie des jeux de course était en pleine expansion, il semblait y avoir beaucoup de croissance sur ce secteur. Durant les trois ans qu’il a fallu pour créer le jeu, la catégorie des jeux de course s’est réduite à peau de chagrin.


Tout ce que vous avez mentionne plus tôt s’est déroulé dans l’industrie du jeu vidéo. Les gens ont commence à jouer à moins de jeux et nous nous sommes retrouvés dans une position où nous avions un titre 6e ou 7e mondial dans sa catégorie de jeux de course. C’était une nouvelle licence dans une catégorie où des franchises énormes comme Gran Turismo, Need For Speed ou Forza sont très bien établies.


Nous avons du être honnêtes avec nous-mêmes et nous demander si nous pouvions rouler sur toute la catégorie, pardonnez-moi l’expression, si nous pouvions casser la toute puissance de ces marques dans un marché en perte de vitesse. Nous avons senti que nos dollars seraient mieux dépensés en investissant sur d’autres projets où nous avions plus d’avantages compétitifs.


Je pense que les joueurs ont aussi parlé ici. Blur était un très bon jeu, mais le monde ne semblait pas avoir d’appétit pour un autre jeu de course. Ce n’est pas pour dire que ce n’est pas important. Nous sommes souvent dépeints comme n’ayant que nos franchises existantes à l’esprit. La nouvelle licence avec Bungie, celle avec Skylanders, confirmer une nouvelle propriété intellectuelle avec Prototype. Nous sommes concentrés sur la réalisation de jeux que nous pensons être capables de faire mieux que quiconque, les domaines où nous avons un avantage, des idées ou un partenaire de développement exceptionnel, qui nous place dans une autre catégorie.

Dans un monde où seul un ou deux jeux par genre ont un vrai succès à grande échelle, je pense que c’est une stratégie intelligente.

 


Dans le passé, Bobby Kotick (PDG d’Activision Blizzard) a été plutôt clair sur le fait qu’il pensait qu’il y avait peu d’intérêt pour Activision à s’intéresser aux réseaux sociaux et au public casual. Serait-il juste de dire que Skylanders et CoD Elite sont des tangentes permettant d’explorer des opportunités de nouveaux business models ?

Tout d’abord à propos de la citation de Bobby que les gens ont tendance à ressasser comme si elle avait une portée perpétuelle : çà a été dit à un certain moment et je pense qu’à celui-ci c’était avéré. Beaucoup de choses se sont passées depuis cette citation. Je pense que le marché est très intéressant dans le mobile en particulier, et aussi sur les réseaux sociaux.


Mais nous avons une approche différente que vous avez bien saisi. Je pense que ces éléments peuvent être des plateformes de jeu à part entière. Les gens oublient que nous avons deux ou trois des applications les plus performantes de tous les temps sur l’App Store avec CoD Zombies et Guitar Hero et je crois que nous avons un jeu Crash qui s’en sort très bien également. Nous étions dessus tôt, mais à ce moment là, ce n’était pas là où il fallait fournir des ressources que vous auriez prises sur de bien plus grosses opportunités ailleurs. Ca a changé.


Deuxième point : je pense que nous avons une approche unique du fait que nous utilisons les réseaux sociaux et le mobile pour étendre les univers de nos jeux et offrir la possibilité aux gens de se connecter avec les jeux qu’ils adorent. C’est une stratégie différente de balancer simplement toutes les licences que nous avons sur l’App Store, ce qui peut être ou ne pas être une belle expérience de jeu. Beaucoup des jeux consoles auxquels j’ai joué sur l’App Store ne conviennent pas à ce périphérique, cette interface et ce mécanisme de contrôle.


Nous n’avons donc pas fait autant que certaines autres entreprises de l’industrie du jeu vidéo, mais il y a plus d’une façon d’accommoder un lapin. Je ne dirais pas que c’est une approche qui aurait réussi à d’autres, mais je pense qu’elle est vraiment logique. Call of Duty Elite existera sur mobile, il interagira avec vos amis FaceBook, il apportera des éléments depuis les réseaux sociaux. Il sera sur tablettes, smartphones et ceux-ci se connecteront, de manière bidirectionnelle, avec le jeu.


Il fut un temps où, si vous étiez fan d’un sport, la seule façon où vous pouviez interagir avec celui-ci était durant le match. Mais désormais il y a tout cet écosystème de contenu, que ce soit les talk shows, les fantasy leagues, les sites web, les analyses, qui connectent les gens aux sports qu’ils aiment toute la journée, qu’il y ait match ou pas. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose ? 30 millions de personnes jouent à Call of Duty, pourquoi ne pourrions nous pas les accaparer durant leurs trajets en métro ; afin qu’ils mettent en place le match du soir avec leurs amis, configurent leur équipement ou étudient comment ils se sont débrouillés sur la carte de la veille ?


Je pense que c’est une approche différente des réseaux sociaux et du mobile que beaucoup de gens ont, et je la vois très excitante.

 


Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, je voulais parler de vos commentaires d’hier soir sur le dénigrement de la part d’EA, en particulier sur le fait que c’est quelque chose qui n’a pas lieu dans les autres industries. J’ai entendu de la part de plusieurs responsables d’EA qu’ils allaient prendre 20% de votre part de marché… Il y a beaucoup de trash talk.

Et bien, pas de notre part. C’est clairement une stratégie, une décision qu’ils ont prise.

 


Mais qu’est-ce qui encourage cette sorte d’agression publique entre rivaux dans l’industrie du jeu vidéo ? On dirait presque le football…

Je ne sais pas ! [Rires] Ce que je sais c’est que… même la réponse que vous venez de citer sur la prise de parts de marché… Pourquoi ne pas créer de nouvelles parts de marché ? Je pense que çà vient d’une entreprise qui assume qu’il y a un nombre fini de joueurs dans le monde. Si nous agissons en tant qu’industrie comme si il n’y avait qu’un nombre fini de joueurs dans le monde, et passons notre temps à nous taper dessus pour les séduire, je pense que cette prophétie va s’avérer.


A l’inverse, si nous agissons en attirant constamment de nouvelles personnes dans cette passion, ce qui s’est produit jusqu’à présent puisque l’industrie a crû de manière exponentielle, je pense que nous pouvons cuisiner un gâteau plus grand au lieu de nous battre pour avoir une part plus importante de l’existant.


Je ne veux pas vraiment répondre trop, si çà ne vous dérange pas. Laissez-moi réfléchir a comment je veux phraser exactement ceci…


Ce n’est pas une stratégie nouvelle pour un challenger d’essayer d’être mentionné dans la même phrase qu’un leader. Ce n’est pas Coca-Cola qui a fait le Coca-Cola Challenge, c’est Pepsi qui a fait le Pepsi challenge. C’est une stratégie essayée et approuvée qui essaye de vous faire mentionner dans la même phrase que les leaders pour que les gens pensent que vous en êtes un.


C’est bien, la compétition est une bonne chose pour cette industrie comme pour n’importe quelle autre. Je pense que, comme je l’ai dit l’autre soir, il y a une différence entre vouloir que votre jeu réussisse et clamer vouloir que les autres jeux échouent. Pour moi le jeu vidéo est un art, et meilleur sera le contenu que nous créerons en tant qu’industrie, plus large sera son marché.