Depuis quelques mois nous vous proposons des traductions d'interviews de grands pontes des éditeurs du jeu vidéo afin d'avoir une autre vision sur le jeu. Tim Merel confie à GamesIndustry.biz une autre approche, encore plus exotique et donc plus rare, celle d'un investisseur disposant du recul nécessaire pour juger les choix de l'industrie qui crée notre passion commune.
Tim Merel travaille pour IBIS Capital, qui est une banque d'investissement spécialisée dans les entreprises du numérique et des médias. Elle investit dans ce secteur à travers des Hedge Funds, des fonds Private Equity et des services de conseil auprès des entreprises du secteur :
GamesIndustry.biz : D'un point de vue investisseur, quelles sont les tendances que vous observez ?
Tim Merel : Ce n'est un secret pour personne que les gros deviennent plus gros, les moyens sont en train de mourir et les petits possèdent beaucoup de potentiel. L'échelle de l'industrie des jeux-vidéo a été comprise par la plupart des investisseurs depuis assez longtemps, mais la dynamique change incroyablement rapidement.
Du côté des gros les franchises majeures attirent des sommes de plus en plus élevées d'investissement et génèrent de plus en plus de revenus, mais cela ne vient pas sans risques. L'équivalent du film Pluto Nash d'Eddie Murphy (100M$ de coût, 4.4M$ de recettes) dans le jeu vidéo est ce qui fait peur aux grands argentiers, les risques du lancement de nouvelles franchises ou de faire des erreurs avec les existantes deviennent considérables.
L'inquiétude est que cette façade de l'industrie devienne comme Hollywood, avec des comptables et des avocats qui occupent le devant de la scène et des créatifs et ingénieurs gérés comme des singes ou des robots. Heureusement les majors sont assez intelligentes pour ne pas laisser cela se passer.
Au milieu, là ou les jeux bons-mais-pas-géniaux rôdent souvent, l'échelle des blockbusters ne se retrouve pas en termes d'investissements. Cela peut avoir un impact sur la qualité du jeu, mais pas nécessairement, en tout cas celà à un impact sur le marketing et la distribution. Le fonctionnement économique de cet espace est devenu de plus en plus difficile, d'un point de vue investisseur ce qui devrait être un investissement au risque moins élevé devient en fait plus risqué qu'une franchise blockbuster.
En d'autres mots, vous investissez moins, mais le ratio retour sur investissement sur risque tend à être pire. C'est en partie pourquoi beaucoup des majors se concentrent sur leurs grosses franchises et excluent quasiment tout le reste. Cela fait fermer aussi beaucoup de bons studios indépendants, ce qui est je pense très triste pour quelques excellentes boutiques et pour l'industrie de manière générale.
Au niveau des petits, et j'inclurais les jeux casual et mobiles ici, il y a une grande opportunité d'investissement que les communautés d'investisseurs et les majors reconnaissent de plus en plus. Rappelez-vous qu'EA a acheté Playfish et que Bigpoint a été acheté par GMT et le fond GE/NBC Universal Peacock. Néanmoins je ne pense pas que le modèle d'investissement pour ce secteur fonctionne encore complètement, étant donné que beaucoup d'acteurs de cet espace ont des capitalisations très élevées comparativement à des revenus et profits relativement bas.
J'ai vu des entreprises où c'est justifié par une croissance forte et des revenus substantiels, mais pour d'autres j'ai vraiment lutté pour comprendre pourquoi elles valent ce que quelqu'un paye pour elles. Le bon équilibre entre risque et récompense dans cette partie du marché n'a pas encore été très bien définie par les majors et une grande partie de la communauté des investisseurs, ce qui signifie bien sûr qu'il y a de vraies opportunités pour ceux qui y parviennent.
GamesIndustry.biz : Où voyez-vous donc des opportunités d'investissement ?
Tim Merel : Pour définir l'évidence, les majors font exactement la bonne chose en investissant et en achetant de grosses franchises. A court et moyen terme celà est parfaitement justifié, mais à long terme je pense qu'ils choisissent un chemin très risqué. Dans le business du jeu tout est question d'innovation et de nouvelles expériences de jeu inimaginables qui apportent la croissance, débiter la 25e incarnation de la plupart des franchises ne fonctionnera pas. Si les majors deviennent en effet des entreprises de service, ils prendront alors le risque de devenir comme les entreprises de médias traditionnels. Génératrices d'argents, mais en déclin et dirigées par les coûts.
Je pense qu'une autre opportunité pour les majors et d'ajouter une nouvelle approche d'investissement à tout ce qui n'est pas évidemment une gros franchise. Un peu comme le modèle de Time Warner Ventures de faire plusieurs petits paris financiers aux premières étapes de petites entreprises du secteur, mais appliqué spécifiquement au jeu vidéo. Les mises financières sont alors placées dans différentes entreprises qui ont l'air prometteuses, où une petite ardoise devrait donner assez de gains pour payer ceux qui n'ont pas réussi 10 fois. Ce modèle pourrait être appliqué au jeu casual, au jeu mobile, au jeu sur console avec des budgets de développement plus petits et des approches innovantes du gaming (comme ce que fait ThatGameCompany avec leurs jeux originaux et une petite équipe Californienne).
L'autre zone qui je pense est intéressante est la commercialisation du gaming autour des lignes du modèle émergent d'Hollywood. Le meilleur exemple que je connaisse à Hollywood est la franchise Transformers, qui d'après ce que j'ai compris est venu de la division consultation des entreprises d'une des grosses agences de talents d'Hollywood : General Motors a dit à l'agence qu'ils avaient besoin d'un vecteur majeur pour vendre plus de voitures.
L'idée de Transformers est venue à l'agence, avec le plan suivant. Premièrement, que Michael Bay signe pour un film financé par General Motors où il pourrait filmer beaucoup d'explosions. Deuxièmement, que Hasbro fournisse la franchise principale et co-investisse pour la licence et le merchandising. Troisièmement, obtenir les studios de production et distribution. Quatrièmement, emmener Michael Bay aux usines de fabrication des prototypes secrets de General Motors pour qu'il puisse choisir les voitures comme stars du film (si vous regardez, vous verez que les voitures ont plus de temps d'écran que les acteurs, même Megan Fox!).
Ce n'est qu'à cette étape-là que les scénaristes et les acteurs ont été embauchés. Le résultat est un film publicitaire pour voitures qui a eu le meilleur résultat au box office de l'année grâce au marketing derrière, et qui est maintenant une franchise trans-médias propre. Ceci dit, celà n'a pas empêché General Motors d'avoir des difficultés.
J'aime aussi ce que l'entreprise espagnole Zed fait avec Planet51, où ils ont toutes les possibilités de dérivation (jeu mobile, MMO, jeu console, etc.) et ont déplacé les primitives dans le film afin de capturer toute la valeur ajoutée eux-mêmes. Il y a toujours beaucoup de risque, mais en l'équilibrant sur plusieurs flux possédés en incluant le jeu vidéo, les retours sur investissements relatifs devraient être meilleurs.
Néanmoins cela ne marche pas toujours, comme pour le film Final Fantasy (que j'ai en fait plutôt apprécié malgré ses défauts, qu'ils soient financiers où autres). Les grands éditeurs adoptent une même ligne en matière de développement des franchises et de réduction des risques financiers énormes, et c'est une voie potentielle pour eux afin qu'ils estiment mieux les risques et récompenses.
Au milieu, la solution semble soit de rêver outrageusement grand et de prendre des risques en capital majeurs (comme RealtimeWorlds avec APB), où d'être acheté par quelqu'un disposant des muscles pour défier les majors. Celà peut-être une major en elle-même, où une des grandes entreprises des médias qui entre tardivement dans l'industrie du jeu vidéo, mais qui met des marques, une visibilité médiatique et de l'argent sur la table. Autrement je pense que c'est un lieu de plus en plus difficile a opérer pour un indépendant.
Pour les petits, cela devrait être de faire les choses rapidement, pour un coût faible et avec une qualité aussi haute que possible avec des budgets minuscules. il y a une communauté gigantesque de petites entreprises développant des jeux casual et console innovants. Donc si vous développez un jeu console pour disons 200 000$, vous pourriez le rendre économiquement rentable en le vendant à moins de 100 000 unités.
Pour les portails de jeu casual comme Spil, le traffic n'est pas tant le problème que comment générer de l'argent avec. Je n'ai jamais aimé le mot "monétisation" étant donné que je ne sais pas ce qu'il signifie (je préfère le bon vieux terme "ventes"), mais les entreprises de jeu casual ont eu un succès variable dans leurs modèles de vente d'espaces publicitaires.
L'exception qui confirme la règle est bien sûr Bigpoint, ils offrent l'équivalent de jeux de qualité PS2 via un navigateur web. La beauté de leur modèle est probablement que moins d'un pourcent de leurs recettes vient de la publicité, la plupart provenant de la vente d'objets/monnaie virtuels et de la vente d'abonnements et premiums mensuels (et voilà le terme de "vente" qui revient). Ils sont aussi très forts pour équilibrer ces objets que vous achetez afin de ne pas amoindrir le plaisir de jeu des joueurs gratuits.
Mais encore une fois Bigpoint n'est plus vraiment petit, ce qui montre la valeur de leur modèle pour les investisseurs. C'est vraiment un thème central pour les plus petits acteurs, tout ce qui comporte un élément de paiment direct (comme les applications iPhone) est beaucoup plus "investissable" et donc beaucoup plus attractif pour ceux qui souhaitent vendre leurs entreprises avec un bon retour sur investissement.
GamesIndustry.biz : Quelles seront selon vous les méthodes de financement efficaces du jeu vidéo?
Tim Merel : Les investissements dans les franchises blockbusters sont déjà la propriété des grandes entreprises et du mega-private equity, étant donné que personne d'autre ne peut en supporter les risques. En termes de de grosses sorties de franchises, je suspecte que cela signifie que nous en verrons moins.
Beaucoup de studios de taille moyenne vivent des temps troubles, même si les meilleurs survivront. Certains s'adapteront aux changements de l'industrie en se donnant à des majors du jeu vidéo ou des médias pour devenir des studios internes et développer des franchises (qu'elles soient existantes ou basées sur les marques de l'entreprise qui les a rachetés), alors que les autres iront droit au mur.
Le modèle de Joint Venture (co-entreprise) est également possible, mais demande beaucoup de travail en terme de conseil pour que cela se passe bien. Si vous n'avez jamais navigué dans l'espace des grandes entreprises avant, le faire seul est un défi. Avec le bon conseiller qui comprend ce dont vous avez besoin et ce dont l'entreprise à besoin, ce n'est pas facile mais c'est faisable.
L'investissement dans ces terres du milieu est réservé aux plus braves (comme les investisseurs dans RealtimeWorlds) qui se sentent confortables dans les risques élevés et les récompenses potentiellement élevées. De la même façon que les investisseurs financiers sont de plus en plus gênés par le modèle des films dirigés par le hit, beaucoup sont gênés par le modèle des jeux dirigés par le hit (ndlr : hit driven).
La nature séquentielle du développement de jeu pour les indépendants (développez-en un, commercialisez-le et si cela réussit utilisez la même recette pour développer le suivant) effraie la plupart des investisseurs. Si vous rencontrez un flop, il n'est pas facile de récupérer votre argent. Je pense qu'il pourrait y avoir une opportunité ici pour l'investissement dans les boutiques qui développent des plate-formes pour le développement de jeux parallèles, à la fois les leurs et ceux de tierces parties. Agir comme une Mecque du talent, comme une gentille et amicale mini-major. Cela devrait être simple a implémenter pour des communautés de joueurs en ligne de taille moyenne avec des studios indépendants traditionnels.
Du côté des petits tout est encore à faire, et je ne pense pas que quiconque ait encore la balle d'argent ici. Mon point de vue est que l'amorçage est bon pour les petites équipes, étant donné que les chances de lever de l'argent auprès des fonds via le capital risque sont faibles. Il est possible de trouver un business angel, mais si vous pouvez le faire vous-même avec votre propre argent et arriver a des retours sur investissement raisonnables, il n'y a pas de honte à viser la lune.
D'une certaine façon celà ressemble aux premiers jours des années 80 où des entreprises comme SSG en Australie gagnaient bien leur vie via leur passion pour le développement de jeux, sans pour autant en sortir multi-millionaires.
Le modèle qui je pense contient un grand potentiel au niveau des petits est que les majors mettent en place des fonds d'investissement dédiés (à l'opposition du modèle de publication standard) et fournissent le capital requis pour le développement (équivalent à un premier tour de table), puis choisir les meilleurs développements et fournir un support de marketing et de distribution important équivalent à un deuxième ou troisième tour de table. Pour résumer les majors agiraient comme des filiales de capital risque de grands groupes comme Intel Capital ou SAP Ventures. Actuellement la plupart ne sont pas prêtes pour çà, mais avec les bonnes personnes et la bonne approche il y a beaucoup à faire dans ce domaine.
GamesIndustry.biz : Pour terminer, étant donné le climat économique actuel, êtes-vous optimiste sur le futur de l'investissement dans le jeu vidéo?
Tim Merel : Je ne me concentrerais pas dessus si je ne l'étais pas !
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
http://fr.wikipedia.org/wiki/Coentreprise
http://fr.wikipedia.org/wiki/Capital-investissement
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Certes c'est un gros pavé, mais je suis sûr que tu comprendrais les grandes lignes en lisant attentivement.
Ca fait du bien de lire quelques articles de fond de temps en temps donc merci Lliane.
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
+1 mdr
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Btw, c'est très bien de voir un mec qui n'a rien a voir avec les JV dire : "Dans le business du jeu tout est question d'innovation et de nouvelles expériences de jeu inimaginables qui apportent la croissance, débiter la 25e incarnation de la plupart des franchises ne fonctionnera pas."
Tres bon article
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
Pavé César, ceux qui ne t'ont pas lu te saluent.
lol
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
j'ai lu mais j'ai ri!
très bon article, et effectivement il a bcp de choses à dire! ça a du être sympa de retranscrire l'itw :d
Modifié le 17/04/2019 à 13:24
à quand la même de ta part en provenance d'un chinois ?