Invité à débattre avec une vingtaine de fans Reddit, le coach de Team Liquid, Spawn, a livré une analyse sans détour de l’état actuel de League of Legends, abordant gameplay, stratégie, co-streaming et évolutions de la scène compétitive.

Un coach à contre-courant sur les grandes questions de League of Legends

Spawn, entraîneur principal de Team Liquid en LTA, a participé à une émission originale imaginée comme un débat collectif. Face à lui, une vingtaine de fans actifs sur Reddit, chacun venu défendre ses idées sur le jeu, la scène compétitive, ou les enjeux de développement de League of Legends. Au fil de cette confrontation de points de vue, Spawn a défendu des positions parfois clivantes mais construites, assumant son expérience de terrain pour contrebalancer certaines logiques communautaires. L’entretien, vif et sans langue de bois, a mis en lumière plusieurs problématiques centrales pour l’avenir de la scène.

La défense du lane swap comme levier stratégique

L’un des premiers sujets abordés fut celui du lane swap, stratégie longtemps abandonnée dans la méta professionnelle. Contrairement à une large partie du public, Spawn considère que ces échanges de ligne précoces enrichissent le jeu. Selon lui, « les gens surévaluent la phase de lane , qu’il décrit comme trop prévisible et peu propice aux choix décisifs. À l’inverse, le lane swap introduit une vraie diversité dans les réponses collectives des équipes.

Il insiste notamment sur l’importance de maîtriser les transitions de cartes dès les premières minutes : « Si ton équipe est capable d’identifier les bons match-ups et de les imposer en bougeant sur la carte, c’est ça le skill collectif ». Face à l’argument selon lequel le spectateur moyen ne comprend pas ce type de stratégie, il répond par l’analogie sportive : « On n’empêche pas les systèmes compliqués en NFL parce qu’un fan du dimanche ne peut pas les exécuter avec ses amis au parc ».

Un regard critique sur le gameplay moderne

Spawn s’est montré particulièrement sévère avec le design actuel de League of Legends, qu’il considère comme trop directif et prévisible. Il cible notamment les « feats of strength », qu’il juge mal pensés, confus pour les nouveaux joueurs et peu stimulants en termes de choix tactiques : « Tu dois expliquer à un débutant qu’il faut trois kills, puis un objectif précis, que si tu rates un 'grub', ça ne compte pas. C’est incompréhensible ».

Mais au-delà de la complexité, il reproche surtout à League sa linéarité croissante. Pour lui, la multiplication d’objectifs forcés et puissants transforme le jeu en un tunnel de décisions automatiques : « League of Legends n’a plus vraiment de choix. Tu accélères sur l’autoroute jusqu’à gagner ou t’écraser ». Il regrette ainsi la disparition de phases plus nuancées comme le jeu de vision, le splitpush ou la macro lente, au profit d’un tempo imposé. Ce constat alimente une inquiétude plus large sur la richesse stratégique à haut niveau.

Le co-streaming, entre audience et perte de contrôle

Sujet sensible, la place croissante du co-streaming a fait l’objet d’un échange animé. Spawn reconnaît que ces diffusions alternatives apportent de la variété dans l’expérience spectateur. Mais il regrette qu’elles affaiblissent structurellement le broadcast officiel, et donc sa monétisation. « À une époque, Riot embauchait les meilleurs comme Krepo, Deficio, Caedrel. Aujourd’hui, ces talents préfèrent co-streamer parce que c’est plus lucratif. Résultat, le broadcast officiel est déserté, ce qui complique la vente de sponsors ».

Caedrel aux commentaires
Caedrel a largement bénéficié de l'autorisation du co cast (c) Riot Games

Il cite notamment l’exemple de Caedrel : « Quand Caedrel arrête son stream à 80 000 viewers parce qu’un match ne l’intéresse pas, seulement 10 000 rejoignent le flux principal. Les autres vont se coucher ». Cette déperdition d’audience nuit, selon lui, à la valeur perçue du produit League of Legends pour les partenaires commerciaux.

Interpellé par une co-streameuse affirmant apporter un public nouveau et diversifié, Spawn nuance : « Si la majorité des co-streamers faisaient comme toi, je serais plus favorable. Mais aujourd’hui, leur intérêt n’est pas d’améliorer le produit Riot, c’est d’optimiser leur propre stream ». Il concède que le modèle peut évoluer, mais appelle à un encadrement plus strict de la part de Riot pour retrouver un équilibre entre liberté créative et viabilité économique.

La fusion LTA vue comme une opportunité pour l’Amérique du Nord

Sur la fusion entre les régions NA, Brésil et LATAM en une seule ligue (LTA), Spawn défend un point de vue tranché. Pour lui, cette réforme est une chance pour l’Amérique du Nord de diversifier son expérience compétitive, de sortir d’une scène trop refermée et de se confronter à des environnements plus exigeants. « Ce n’est pas le niveau de la LCK, mais jouer des matchs dans un environnement hostile, comme au Brésil, ça fait grandir les joueurs », affirme-t-il.

Il voit dans cette fusion un moyen de simuler, à plus petite échelle, la pression d’un tournoi international. Les déplacements, l’accueil du public, l’adaptation à un nouveau contexte : autant d’éléments qui préparent les jeunes joueurs à ce qu’ils vivront lors des Worlds ou du MSI. Il insiste aussi sur la valeur de ces matchs pour l’engagement des fans : « À chaque fois qu’on affronte une équipe brésilienne, la ferveur sur les réseaux est énorme ».

Face aux critiques sur le manque de matchs croisés ou la disparition de structures LATAM, il défend une approche réaliste : « Ce n’est pas parfait, mais c’est mieux que rien. Si on ne peut pas tuer le cancer, pourquoi soigner une petite partie ? C’est une manière pathétique d’aborder les problèmes ». Il admet que la transition est brutale pour certaines structures régionales, mais estime que les meilleurs talents bénéficieront d’une exposition accrue et de meilleures perspectives de carrière.

Fearless Draft : une pression accrue sur les coaches

Concernant le format Fearless Draft, où un champion ne peut être rejoué dans une série une fois sélectionné, Spawn estime que ce sont surtout les staffs techniques qui seront mis à l’épreuve. « Le vrai défi, ce sera de construire des drafts cohérentes avec des champions rarement associés. Il y aura des drafts absurdes au début, c’est sûr ».

Il explique que dans un environnement compétitif aussi rapide qu’aujourd’hui, les erreurs de draft se paient très vite. L’accumulation d’objectifs forts dès les premières minutes laisse peu de marge d’adaptation : « Aujourd’hui, les objectifs arrivent trop vite. Si ta compo ne fonctionne pas à six minutes, tu n’as plus le temps de compenser en jeu ».

Il note que certaines équipes pourraient chercher à maximiser un game 1 très préparé, pour n’avoir qu’un seul draft "à improviser" sur les deux manches suivantes. « Ça donne un énorme avantage aux structures qui arrivent à verrouiller leur premier plan de jeu ».

Au-delà de la sélection des champions, c’est la capacité des coaches à prévoir plusieurs plans compatibles, flexibles et complémentaires qui sera mise à l’épreuve. Spawn anticipe une adaptation progressive, mais il rappelle que ce format demandera une rigueur tactique supérieure et un temps de préparation accru, ce qui pourrait accentuer l’écart entre les équipes les plus structurées et celles qui improvisent encore trop.

Le cas Faker et la question du « GOAT »

Parmi les dernières thématiques abordées, Spawn a livré sa vision sur la notion de « GOAT » dans League of Legends, en partant d’une hypothèse : si Faker n’avait jamais existé, ClearLove serait probablement considéré comme le plus grand joueur de l’histoire. Pour étayer son propos, il revient sur le palmarès du joueur chinois entre 2012 et 2017, insistant sur sa régularité et sa capacité à dominer dans un environnement très compétitif : « Il a remporté plus de titres domestiques que quiconque à l’époque, sur plusieurs itérations d’équipe, chez WE puis EDG ». Il accorde notamment une forte valeur au tournoi IPL5, considéré à l’époque comme un équivalent de championnat du monde.

Faker sur scène
Après Faker, Clearlove serait le goat d'après Spawn (c) Riot Games

Face à lui, certains membres du panel estiment que Caps, avec son long parcours en Europe, ses titres en LEC, une victoire au MSI et plusieurs finales mondiales, pourrait prétendre à ce statut. Spawn reconnaît les mérites du midlaner européen mais relativise : « La LPL, en termes de niveau et de densité, est une région historiquement plus compétitive que l’Europe ». Il revient aussi sur Uzi, autre légende chinoise. S’il admet son talent individuel exceptionnel, il estime que sa carrière a manqué de constance : « Uzi a brillé par éclats, notamment en 2013 ou 2018. Mais il a aussi enchaîné les absences et les saisons incomplètes ». Pour Spawn, la longévité et l’influence permanente sont des critères centraux pour désigner un GOAT, ce qui selon lui, distingue définitivement Faker : « Ce n’est pas juste qu’il ait été le meilleur à son apogée. C’est qu’il l’est resté pendant plus de dix ans, dans des contextes différents, avec des coéquipiers toujours renouvelés. » En filigrane, Spawn défend une approche exigeante du statut de légende, qui repose autant sur la domination que sur la durée. Une position qui s’inscrit dans sa vision globale de l’esport : structurée, compétitive, et fondée sur la rigueur du haut niveau.