Au tout début de l'année 2022 on apprenait que le Savvy Gaming Group, un fond saoudien présidé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, faisait l'acquisition de FACEIT et ESL pour un montant record de 1,5 milliard de dollars. Six mois plus tard, où en est-on et à quoi faut-il s'attendre ?
La nouvelle stratégie de communication
Il y a quelques mois, nous vous proposions un article où nous tentions d'expliquer pourquoi l'Arabie saoudite avait dépensé 1,5 milliard de dollars pour racheter l'intégralité de FACEIT et ESL. Depuis, le fond d'investissement saoudien Savvy Gaming Group (SGG), basé à Riyad, a poursuivi sa course folle en dépensant par exemple un nouveau milliard pour détenir désormais 8,1% de l'éditeur suédois Embracer Group AB. La communication en Suède suite à cette entrée au capital colossale est la même que lorsque l'ESL et FACEIT ont été rachetées, l'objectif étant de rassurer en affirmant que rien ne va changer et que les hauts cadres actuellement en place resteront les mêmes. Pourtant, une récente enquête du Wall Street Journal a pointé du doigt le management général du royaume autour de son projet phare évalué à plus de 500 milliards de dollars : NEOM.
Or NEOM, cette ville futuriste qui doit devenir une vitrine de l'Arabie saoudite, vous la connaissez bien puisque durant l'été 2020 elle devait sponsoriser le League of Legends Championship (LEC) mais également le circuit BLAST sur Counter-Strike: Global Offensive. A l'époque la communauté s'était soulevée et l'annonce de ce projet de sponsoring avait dû être annulé dans l'urgence par les deux entreprises. Ce que nous apprend le Wall Street Journal, c'est la réaction qu'ont eue les autorités saoudiennes face à ce retrait et ceci explique également sans aucun doute le changement de stratégie radical du royaume pour atteindre ses objectifs, qui quant à eux restent inchangés. Le pharaonique projet NEOM est dirigé par un proche du Prince Mohammed ben Salmane (prince héritier d'Arabie saoudite et Premier vice-Premier ministre). Ce proche, c'est Nadhmi Al-Nasr, un homme de 62 ans qui a pris les commandes du projet au mois d'août 2018. Ce dernier a particulièrement intéressé le journaliste américain qui a cherché à en apprendre davantage sur ce personnage discret et a dû en passer par des temoins anonymes. Ainsi on apprend que monsieur Al-Nasr aurait particulièrement mal réagi face au recul et à la mauvaise image que renvoyait le retrait de Riot Games et BLAST du partenariat avec la ville futuriste. Il aurait menacé son personnel, coupable selon lui de ne pas l'avoir averti que cela pouvait arriver :
Si vous ne me dites pas qui est responsable, je vais prendre une arme sous mon bureau et vous tirer dessus.
Dans d'autres extraits de réunions rapportées au journaliste du Wall Street Journal, le président de NEOM déclare :
Je dirige tout le monde comme des esclaves. Quand ils sont morts, je le fête. C'est comme ça que je conduis mes projets.
Dernièrement le fond d'investissement public saoudien (PIF), auquel appartient Savvy Gaming Groupe, a réussi à faire l'acquisition du club de football de Premier League de Newcastle, là aussi les Saoudiens ont eu des difficultés pour devenir les propriétaires et ont dû s'y prendre à deux fois avant que l'association des clubs anglais n'accepte leur arrivée. Et la nouvelle stratégie employée pour contourner les réticences est exactement la même que dans l'esport. D'ailleurs toutes les dates coïncident, le premier échec du PIF en Angleterre remonte à avril 2020 (à la même période de ceux avec Riot Games et BLAST) et l'achat du club anglais a été finalisé fin 2021 (en même temps que celui de l'ESL et de FACEIT). A la tête du fond pour mener cette nouvelle politique, on retrouve Brian Ward, un ancien d'Activision et Electronic Arts qui désormais mène le programme d'expansion d'une société, qui a annoncé être prête à dépenser 30 milliards de dollars dans différents investissements. Contrairement à ses prédécesseurs, Brian Ward connait bien le monde du sport électronique et des jeux vidéo puisqu'il baigne dedans depuis plus de 26 ans maintenant. Dans une interview accordée à Sport Business Journal en mars dernier, le président de SGG déclarait :
Tout d'abord, c'est avant tout une belle histoire de réussites entrepreneuriales pour l'ESL et FACEIT dans l'industrie de l'esport. Et notre annonce concerne davantage cela et ce que peut offrir la combinaison de ces deux entités, plutôt que ce que Savvy pourrait faire pour alimenter sa propre croissance future. C'était en quelque sorte une sous-histoire selon nous. [...] Donc, nous aurions peut-être dû révéler cela un peu plus tôt que ce que certaines personnes auraient voulu au départ. Non pas qu'il y ait eu quelque chose qui n'allait pas. C'est exactement ce que nous voulions faire, et bien qu'il n'y ait rien de mal dans notre message, nous allons avoir un rythme plus soutenu dans nos annonces prochaines et dans la manière de les révéler publiquement. Nous veillons à ce que nos messages soient conformes non seulement aux attentes de notre communauté, mais aussi à celles de nos actionnaires. Nous travaillons toujours sur ce que devrait être la communication la plus adéquate.
Brian Ward - Sports Business Journal.com
Interrogé sur les droits des communautés homosexuelles ou ceux des femmes tout simplement, le président de Savyy Gaming Group a complètement botté en touche pour les premiers, choisissant de ne s'exprimer que sur la seconde partie de la question -un indice qui semble suffisamment parlant pour prouver qu'il reste certaines barrières encore aujourd'hui infranchissables. Il a ainsi déclaré :
J'ai deux filles plus jeunes, et mon point de vue, ainsi que celui de ma femme depuis le début, était que notre travail consistait à élever deux femmes fortes et indépendantes. Je serais assez hypocrite si j'allais dans un endroit et que je faisais quelque chose qui est contraire à ce que nous enseignons à nos filles depuis 15 ans. Je ne pense pas que je serais très heureux avec ce type de juxtaposition. De plus il y a une augmentation du nombre de femmes travaillant en Arabie saoudite. Une simple recherche sur Google montre que le taux est passé de 22% à 33% au cours des deux dernières années. Et en ce qui concerne les jeux, Niko Partners, la société d'analyse et de recherche sur les jeux basée dans la Silicon Valley, estime que sur un peu plus de 65 millions de joueurs dans la région MENA-3 (Arabie saoudite, Émirats arabes unis et Égypte), 38,8% sont des femmes. Je suis satisfait du changement que je constate en ce qui concerne les femmes sur le lieu de travail ici, mais je remarque aussi un changement culturel qui, selon moi, continue d'évoluer en Arabie saoudite. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles j'ai accepté ce rôle de PDG. Je pense que j'ai surpris quelques personnes au niveau des actionnaires et du service des ressources humaines lorsque j'ai dit cela, mais je pense qu'il y a quelques années, 16% des cadres supérieurs de notre secteur étaient des femmes et c'était un résultat assez pathétique.
J'ai leur ai dit : "Écoutez, il y a certaines choses qui vont nous demander plus de temps pour démontrer notre capacité à respecter les valeurs et la culture de notre industrie. Mais il y a aussi certaines choses que nous pouvons faire tout de suite, comme embaucher des femmes." J'ai dit qu'au niveau C (plus petit niveau de cadre), dans les sociétés d'exploitation, nous devons avoir 20% de femmes, pas 16 PDG, mais 20%, ce que nous avons fait maintenant. A l'échelon inférieur, ce taux doit être de 33% et nous sommes sur la bonne voie. Au niveau C dans l'ensemble du groupe, on doit atteindre les 50 %, et je pense que nous allons également atteindre prochainement cet objectif.
Brian Ward - Sports Business Journal.com
Afin de contrer les éventuelles remarques, le groupe et dans sa continuité NEOM puisque les deux son liés, souhaite mettre en avant davantage de femmes pour atteindre des standards occidentaux. C'était l'une des missions que Brian Ward a souhaité mener afin de redorer l'image du royaume, du fond qu'il dirige et éviter à l'avenir la situation qui avait été expérimentée en 2020. Mais ce n'est pas le seul point sur lequel il travaille pour permettre à Nadhmi Al-Nasr et au prince héritier d'atteindre leurs objectifs :
Les jeunes d'Arabie saoudite ont les mêmes espoirs, rêves, aspirations et projets d'avenir que les jeunes du monde entier. C'est pourquoi j'essaye de construire quelque chose de super excitant et génial dans l'industrie pour eux, mais aussi pour les aider à transformer leur pays par eux-mêmes à l'avenir. C'est un pays extrêmement jeune tu sais ? Soixante-dix pour cent de la population a moins de 30 ans. Je pense que notre communauté est très cynique et blasée. Ils veulent qu'on leur montre les choses, pas qu'on leur en parle. Alors nous avons pensé que la meilleure façon d'illustrer ce que nous essayons de faire est simplement de sortir et de le faire. Pas besoin d'être tape-à-l'œil dans ce que vous dites, faites-le et taisez-vous. Avec ESL et FACEIT, c'était l'une des raisons pour lesquelles nous n'étions pas plus loquaces à propos de Savvy. Il y a déjà une belle histoire autour d'ESL et de FACEIT dans l'industrie, pas la peine d'en rajouter.
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Comme nous vous le présentions dans notre précédent article, l'objectif est donc bien orienté sur la jeunesse du Moyen-Orient mais également vers les étrangers. Ils sont plusieurs dizaines de milliers de cols blancs à avoir succombé aux sirènes de NEOM, qu'ils soient ingénieurs, développeurs, tous arrivent avec leur expertise pour faire de la ville le berceau de la technologie de demain. Toutefois, cette fois c'est le Wall Street Journal qui nous apprend que beaucoup de ces étrangers ont également déjà quitté le royaume, car la vie là-bas était bien loin des rêves qu'on leur avait promis. Cela explique certainement cette stratégie menée par Brian Ward qui veut désormais faire avant de convaincre, pour de nouveau attirer des talents sans que ceux-ci ne se sentent floués une fois sur place. Il ajoute comme dernier point de son plan :
Nous sommes une entité entièrement commerciale. Nous fonctionnons comme n'importe quelle autre société, même si nous n'avons qu'un seul actionnaire, ce qui peut être différent de certaines autres sociétés. Nous ne faisons pas partie de l'État saoudien malgré notre président (Mohammed ben Salmane étant président du conseil d'administration et l’État saoudien le seul actionnaire du SGG; ndlr). Nous sommes une entreprise détenue à 100 % par le PIF (Fond public d'investissement d'Arabie saoudite), mais nous sommes aussi une entité entièrement commerciale. Et nous nous engageons tous à stimuler la croissance du secteur des jeux et à faciliter un accès plus large, plus inclusif et plus équitable à cette industrie dynamique en pleine croissance. Compte tenu de notre mandat mondial, nous sommes en constante conversation avec des partenaires et des partenaires potentiels à travers le monde pour nous assurer que nous poursuivons notre mandat d'une manière conforme aux valeurs, et à la culture de la communauté mondiale des joueurs.
En fait, le SGG a déjà investi dans d'autres sociétés en Arabie saoudite dans des domaines tels que les sites et les arènes d'événements, le développement de jeux, l'incubation et l'accélération etc. Mais pourquoi l'accord ESL Faceit Group a-t-il été le premier ? L'accord ESL/FACEIT s'est avéré être le premier pour deux raisons. Premièrement, ESL et FACEIT dirigeaient déjà un processus SPAC (Special Purpose Acquisition Company; ndlr) par lequel ils allaient s'inscrire publiquement aux États-Unis. Donc, ils avaient déjà un processus en cours où ils nous ont demandé si nous étions intéressés de participer, et nous avons décidé que ce n'était pas comme ça que nous souhaitions le faire, nous étions intéressés par l'actif. Cela a conduit à la transaction qui a fini par être conclue.
Brian Ward - Sports Business Journal.com
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On apprend donc que l'ESL et FACEIT recherchaient des investisseurs avant ce rachat, et qu'ils prospectaient pour lever des fonds (une pratique courante dans le milieu de l'esport). Mais quand ils ont frappé à la porte du SGG, ils sont tombés sur un ogre bien plus gros qu'ils ne le pensaient. Leur but n'était pas simplement d'avoir des participations, ils voulaient faire l'acquisition de l'ensemble et c'est ce qu'il s'est passé. Finalement les deux sociétés n'avaient plus trop le choix que d'être vendues, elles qui recherchaient des financements ont finalement trouvé un moyen de récupérer un gros chèque, tout en permettant au sport électronique de bénéficier d'un soutien financier quasi illimité. La contre-partie dans tout cela, c'est que désormais les deux sociétés sont rattachées directement à un État. Un État dont les objectifs sont avant tout de devenir la pierre angulaire de l'esport de demain, et pour ce faire il faudra à un moment ou un autre s'intégrer dans NEOM. La stratégie de dédiabolisation menée principalement via le recrutement de femmes a donc pour objectif à plus ou moins long terme de renouveler l'expérience manquée de l'été 2020. NEOM doit devenir le centre de gravité pour la jeunesse du royaume et l'endroit où les décisions se prennent quand on parlera esport.
Le plus impressionnant dans tout cela, c'est à quel point la stratégie mise en place par Brian Ward a fonctionné à merveille. Quelques voix se sont élevées lors du rachat de l'ESL par FACEIT mais jamais le Savyy Gaming Group ne s'est exprimé publiquement, il laisse faire le temps pour agir en sous-marin et lisser son image, pour plus tard faire ses annonces. Ce plus tard ce sera lorsque la direction du SGG estimera qu'elle a atteint les objectifs qu'elle s'était fixé pour être jugée fréquentable par les joueurs occidentaux. Étant donné la rapidité à laquelle les choses se passent au royaume, on peut légitimement penser que lorsque NEOM sortira officiellement de terre l'esport sera mûr pour s'y installer. D'ailleurs les choses se passent tellement bien que depuis le début de l'année 2022 le chantier s'est accéléré dans le désert afin de respecter les délais. Le directeur des projets sur place, Brett Smythe, déclarait en février dernier pour le compte d'Arab News que :
Lorsque le projet visionnaire NEOM d’Arabie saoudite a été annoncé par le prince héritier Mohammed ben Salmane en 2017, il a attiré l’attention du monde par son ambition et son ampleur – une tentative de réaliser quelque chose qui n’avait jamais été réalisé auparavant, redéfinissant l’habitabilité, les affaires et la conservation. Une pierre angulaire de la Vision 2030 qui stimule la diversification économique dans le Royaume. Les travaux ont commencé sur The Line, une série de communautés construites le long d’une bande de terre de 170 km allant de la mer Rouge jusqu’à l’intérieur de l’Arabie saoudite, intégrée à The Spine, l’épine dorsale de transport et de logistique qui desservira The Line. Les premiers travaux de nivellement ont déjà commencé et d’importants contrats progressent pour l’infrastructure The Spine avec Bechtel (chef de projet exécutif), AECOM (concepteur principal) et China Railway Construction Corp. (accès et portails). La construction a fait d’importants progrès sur la dorsale routière et de services publics de NEOM, ses premiers villages permanents, ses ouvrages maritimes et ses infrastructures sociales.
Nous construisons quelque chose à une échelle jamais vue auparavant, en utilisant de nouvelles technologies pour donner vie à l’un des projets les plus passionnants et les plus perturbateurs au monde. Au fur et à mesure que NEOM progresse dans la construction du projet, il créera l’écosystème de construction économique le plus avancé au monde, qui continuera à contribuer au produit intérieur brut à long terme de NEOM, en Arabie saoudite et au-delà. La technologie est un catalyseur clé, mais bien plus que cela, nous cherchons à augmenter considérablement la valeur d’une heure par personne dans notre industrie. Nous adoptons une approche différente de la conception de nos logements, de la formation, de l’environnement de travail et finalement de l’intégration dans la société. Cela continuera à sous-tendre chaque décision que nous prenons.
Brett Smythe - Arab News.com
The Line, The Spine, NEOM tous ces noms doivent constituer un ensemble urbain de plusieurs millions d'habitants qui doit voir le jour en 2030. D'ici là le Savyy Gaming Group va poursuivre ses investissements, travaillé à redorer l'image du pays et tenter de s'attacher la sympathie des joueurs récalcitrants. Il faudra donc être patient, tout n'arrivera pas du jour au lendemain et les prochaines années devraient être inchangées pour des entreprises telles que l'ESL et FACEIT, et pour nous simples spectateurs. Sauf que dans moins de 10 ans maintenant, quand on se sera habitué et que l'on aura levé nos barrières, une nouvelle carte du monde du sport électronique sera dessinée avec en son centre l'Arabie saoudite. C'est en tout cas l'objectif affiché par les autorités saoudiennes.
Modifié le 21/06/2022 à 17:28
Pour le droit des femmes il sera sûrement garanti à 100% dans 10 ans, excepté l'exigence de porter le voile islamique se qui est un vrai problème.
Enfin l'Arabie Saoudite a beaucoup de joueurs, notamment des joueurs étrangers. Pourquoi je parle des "joueurs étrangers", Parce que 20% des habitants sont des étrangers asiatique et africain ayant immigré pour gagner une meilleur vie et ne pas crever de faim dans leur pays. Les étrangers subissent eux aussi la situation de l'Arabie Saoudite.
Donc non , l'Arabie Saoudite ne doit pas être interdit de représentation physique d'événement sportif.
"il faut absolument les bousculer et ne pas leur permettre de faire ce genre de projets." En France c'est l'Islamisme qui gagne du terrain, c'est donc les musulmans qui bouscule la France . De même, dans le monde les musulmans ont de plus en plus de pouvoir : les pays du golfe ont le monopole du pétrole depuis la fin du pétrole russe.