Le LEC, en difficulté sur la scène internationale depuis quelques années et plus particulièrement ces deux dernières saisons, en témoignent ces nouveaux piètres Worlds 2024, doit repenser ses stratégies pour se rapprocher du niveau de la LCK et de la LPL. Entre scouting des talents, réformes dans le recrutement et ajustements structurels, plusieurs axes d'amélioration sont nécessaires pour redresser la barre.
Repenser le LEC pour redevenir compétitif face à la LCK et la LPL
Les résultats décevants du LEC aux Worlds 2023 et 2024 ont jeté une lumière crue sur le fossé qui sépare désormais la scène européenne des puissances asiatiques que sont la LCK (Corée du Sud) et la LPL (Chine). Pour la deuxième année consécutive, aucune équipe européenne n'a réussi à atteindre les playoffs, ce qui est non seulement un signal d'alerte pour les fans, mais aussi une véritable crise pour la région qui, il y a peu, était considérée comme l’une des plus compétitives du monde. Ce manque de succès met en lumière des problèmes structurels : développement des jeunes talents, recrutement, gestion des rosters, et préparation tactique. Des équipes historiques comme G2 Esports, Fnatic, et MAD Lions KOI, qui ont pourtant dominé le LEC en 2024, n'ont pas su rivaliser face aux équipes asiatiques, soulignant les failles profondes de la scène européenne. Ce constat pousse la région à se poser une question cruciale : que faut-il changer pour que le LEC retrouve sa compétitivité sur la scène internationale ?
Les fans, les analystes, et même certains joueurs appellent à une réforme drastique de la manière dont la région fonctionne. La domination des équipes asiatiques repose sur une approche disciplinée et rigoureuse, tant dans la formation des joueurs que dans la gestion de leurs équipes. Si l'Europe veut combler l'écart, des changements radicaux sont nécessaires. Ce n’est plus seulement une question de performances sur le court terme : c’est l’avenir même du LEC et sa capacité à rester une des meilleures ligues du monde qui sont en jeu. Cet article explore les différentes pistes à envisager pour réformer le LEC, allant du renforcement des talents locaux, en passant par une refonte des structures académiques et des méthodes de recrutement, jusqu'à une révision complète du format compétitif.
L'Europe attendait beaucoup de G2, mais la déception est rapidement arrivée (c) Riot Games
Renforcer le scouting des jeunes talents
Le succès de la LCK et de la LPL repose en grande partie sur leur capacité à identifier et former de jeunes talents. En Corée et en Chine, les académies sont bien développées, avec des joueurs intégrés très jeunes dans des environnements compétitifs rigoureux. Les ligues académiques, comme la Challenger League en Corée, sont des viviers où les talents émergent régulièrement.
Le LEC doit améliorer ses efforts de scouting en s’appuyant sur un système plus structuré pour identifier les meilleurs talents européens, même au-delà des académies traditionnelles. Les European Regional Leagues (ERL) sont déjà un excellent terrain pour dénicher de nouveaux talents, mais les équipes du LEC doivent investir davantage dans la recherche de jeunes prodiges. Il pourrait être utile de mettre en place des systèmes de scouting centralisés et des partenariats avec des ligues et clubs amateurs pour mieux structurer la transition vers le LEC. Inspiré par le modèle asiatique, un encadrement plus soutenu des jeunes talents, incluant coaching individuel et suivi rigoureux, permettrait d'élever rapidement le niveau compétitif de la région.
Les académies du LEC devraient également collaborer plus fréquemment avec des équipes étrangères pour exposer leurs jeunes joueurs à des styles de jeu variés, tout en organisant des bootcamps réguliers avec des équipes asiatiques. Cela favoriserait non seulement le développement technique des jeunes talents, mais aussi leur mentalité compétitive.
Le rôle des équipes académiques dans la formation des talents en LEC
Un des points de divergence majeurs entre la scène européenne et coréenne réside dans l’importance accordée aux équipes académiques. Depuis la saison 2022, les équipes LEC ne sont plus obligées de posséder et de gérer une équipe académique. Ce changement est le résultat d'un vote des propriétaires des franchises européennes, où neuf équipes sur dix ont décidé en faveur de la suppression de cette règle. Cette décision a marqué un tournant dans la stratégie de formation des talents en Europe. Aujourd'hui, sur les dix équipes du LEC, seules sept continuent d’investir dans des équipes académiques : Team BDS (BDS Academy), Karmine Corp (Karmine Corp Blue), Team Vitality (Vitality.Bee), MAD Lions KOI (Movistar KOI), SK Gaming (SK Prime), Team Heretics (Los Heretics), et GiantX (GIANTX PRIDE). Des équipes historiques comme G2 Esports, Fnatic, et Rogue ont abandonné leurs projets académiques, principalement pour des raisons économiques.
Les équipes académiques ont pourtant un rôle important à jouer. Leur objectif principal est de développer un vivier de jeunes talents, en identifiant les futures stars locales ou européennes et en les faisant évoluer dans un environnement compétitif structuré. En Corée du Sud, par exemple, la LCK Challenger League joue un rôle central dans la détection et la formation des talents, assurant un renouvellement constant des équipes principales avec des joueurs formés à la rigueur et à la culture compétitive du pays. En Europe, cette vision de la formation est beaucoup moins présente. À l’exception de certaines organisations comme Karmine Corp et BDS, qui continuent d’investir de manière significative dans la formation des jeunes talents, une partie des équipes LEC semble avoir relégué cette responsabilité au second plan. Ce manque d'engagement collectif fragilise l’Europe dans sa capacité à rivaliser avec des régions comme la Corée du Sud ou la Chine, où la formation des joueurs est une priorité absolue.
Si l'Europe souhaite combler son retard sur la scène internationale, un effort plus concerté pour investir dans les équipes académiques et les programmes de développement des talents locaux est essentiel. Cela permettrait non seulement de créer une relève solide pour les équipes LEC, mais aussi d’enrichir l’écosystème européen en augmentant le nombre de joueurs de haut niveau disponibles pour les ligues majeures et mineures. Sans une véritable structure de formation, l’Europe risque de voir sa compétitivité stagner alors que les autres régions continuent de faire des progrès significatifs dans ce domaine.
Un équipe académique ferait peut-être du bien à Fnatic (c) Riot Games
Mettre fin au copinage dans le recrutement
L'une des critiques récurrentes de la scène européenne est l’existence d’un « copinage » qui influence certaines décisions de recrutement. Des joueurs ou des coachs sont parfois sélectionnés en raison de leurs relations personnelles, au détriment de la performance et de l'adéquation avec les besoins stratégiques des équipes. Cette pratique limite la capacité à renouveler les rosters et empêche parfois les talents les plus prometteurs d'émerger.
Pour améliorer le niveau de jeu du LEC, les décisions de recrutement doivent reposer exclusivement sur des critères de performance. Les équipes doivent adopter une approche plus scientifique, en se basant sur des analyses de données précises, des statistiques de jeu et des performances en scrims pour évaluer objectivement les joueurs. Chaque organisation devrait mettre en place des processus de sélection transparents, incluant des phases de test rigoureuses. Cela permettrait de minimiser le recyclage des mêmes joueurs d’une équipe à l’autre et de créer une culture de la performance pure, où chaque joueur doit constamment prouver sa valeur.
Un autre aspect crucial est l'apport de nouveaux regards. L'embauche de coachs étrangers, notamment coréens ou chinois, peut également aider à secouer cette culture interne. Ils apporteraient une approche différente, plus rigoureuse et orientée vers l’efficacité, ce qui contribuerait à élever le niveau global des équipes.
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L'éternel débat : ligue fermée vs ligue ouverte
Le débat entre ligue fermée et ligue ouverte est depuis très longtemps au cœur des discussions sur la compétitivité et la durabilité des sports électroniques. Le LEC, à l’image de la LCK et de la LPL, fonctionne comme une ligue fermée, dans laquelle les équipes franchisées sont sécurisées sans risque de relégation. Ce modèle présente des avantages indéniables, notamment une stabilité financière pour les organisations (enfin, normalement), une planification à long terme, et une plus grande capacité d’investissement dans les infrastructures. Cependant, il soulève aussi des critiques, notamment sur la compétitivité et l’incitation à l’excellence.
Les avantages d'une ligue fermée
En théorie, les franchises du LEC, tout comme celles de la LCK et de la LPL, bénéficient de la stabilité financière et structurelle que procure une ligue fermée. Ce modèle permet aux organisations de planifier à long terme, sans craindre la relégation qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur leurs revenus et leur attractivité pour les sponsors. En sachant qu'elles auront une place garantie en ligue chaque saison, les équipes peuvent se permettre d'investir dans des infrastructures, des programmes de formation, et des joueurs talentueux sans craindre une perte soudaine de visibilité ou de revenus.
De plus, la stabilité de la ligue fermée est normalement censée attirer des investisseurs externes, car elle réduit le risque d’une baisse brutale de la valeur de l’équipe en cas de mauvaise performance. Cela incite les organisations à investir davantage dans leur structure, leur staff technique et leurs jeunes talents, avec une vision à long terme. En théorie, cela favorise l’émergence de projets solides et bien encadrés.
Les limites de la ligue fermée
Cependant, ce modèle présente également des limites qui se reflètent parfois dans la compétitivité des équipes. Sans menace de relégation, certaines organisations peuvent être moins incitées à rechercher l’excellence constante. Contrairement à une ligue ouverte où la relégation impose une pression maximale, les franchises du LEC peuvent potentiellement se reposer sur leurs acquis si elles considèrent que leur participation en ligue est assurée.
En LCK et LPL, bien que les ligues soient également fermées, la compétition interne reste féroce, en partie grâce à une concurrence accrue pour les places de titulaires. Les joueurs en Corée et en Chine sont constamment en compétition, même au sein de leur propre équipe, pour conserver leur place de titulaire. Cette pression est exacerbée par les infrastructures de formation très développées, qui produisent sans cesse de nouveaux talents prêts à remplacer les vétérans en difficulté. Cela pousse les équipes à constamment renouveler et renforcer leurs rosters, et à éviter toute complaisance.
En LCK et en LPL, le passage aux ligues fermées n'a pas détérioré le niveau de jeu (c) Riot Games
En revanche, en Europe, le manque de pression externe, combiné à un certain manque de renouvellement, peut conduire à une stagnation dans la qualité des rosters et des performances. Le marché européen souffre également de copinage dans le recrutement, où certaines décisions sont davantage basées sur les relations personnelles que sur les performances objectives, ce qui peut réduire la compétitivité. De plus, l'absence d'une ligue académique obligatoire pour toutes les équipes (contrairement à la Corée du Sud) fait que le vivier de jeunes talents n'est pas aussi profond que dans les régions dominantes, limitant encore davantage la concurrence pour les places.
Ligue ouverte : un modèle plus compétitif ?
Le modèle de la ligue ouverte, tel qu’on le retrouve dans les ERL (European Regional Leagues) ou dans certains sports traditionnels, repose sur un principe différent : les équipes doivent constamment prouver leur valeur pour conserver leur place dans la ligue supérieure. Les meilleures équipes des ligues inférieures sont promues, tandis que les moins performantes des ligues supérieures sont reléguées. Ce modèle favorise la compétition, car chaque match compte pour la survie de l'équipe dans la ligue. Une ligue ouverte crée une pression constante pour rester performant et incite les organisations à rester ambitieuses, à faire preuve d'agilité dans la gestion de leurs rosters, et à investir dans la formation de talents. Elle permet également une rotation plus fréquente des équipes, évitant ainsi une stagnation des mêmes structures au sommet et ouvrant la porte à des surprises et à l’émergence de nouvelles équipes ambitieuses.
Quelle option pour le LEC ?
Bien que le modèle fermé du LEC offre de nombreux avantages économiques et structurels, l’Europe pourrait explorer des solutions hybrides pour dynamiser la compétition. Une des options serait d’introduire une forme de concurrence interne renforcée. Les équipes devraient être incitées à promouvoir régulièrement des talents issus des ERL ou de leurs équipes académiques, ce qui non seulement augmenterait la pression au sein des équipes LEC, mais permettrait également de développer un vivier plus large de joueurs compétitifs. Encore faut-il que le programme académique soit pleinement développé et largement soutenu par les structures, ainsi que par Riot Games. Il est peut-être pour le LEC d'avoir une vraie ligue académique à l'image de la LCK ou de la LPL, une vraie division 2 du LEC, un peu à l'image de la Challenger Séries (CSEU) qu'il y a eu par le passé.
De plus, des incitations financières ou des pénalités de performance pourraient être mises en place pour forcer les équipes à se battre plus sérieusement pour atteindre des objectifs concrets. Par exemple, les équipes les moins performantes pourraient perdre certains avantages financiers, tandis que celles qui surperforment pourraient bénéficier d’une augmentation de leurs parts de revenus. Le débat entre ligue fermée et ligue ouverte touche à des questions fondamentales sur l’équilibre entre stabilité et compétitivité. Le LEC, en tant que ligue fermée, bénéficie d'une stabilité économique qui favorise les investissements à long terme, mais cette même stabilité peut aussi freiner la compétitivité si elle n'est pas accompagnée d'une pression interne suffisante pour pousser les équipes à toujours se surpasser. Trouver le juste milieu entre ces deux modèles pourrait être une solution pour redonner au LEC une chance de briller sur la scène internationale.
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Améliorer les infrastructures et le soutien aux équipes
En LCK et en LPL, les infrastructures autour des équipes sont beaucoup plus développées qu’en Europe. Ces ligues disposent de centres d'entraînement de classe mondiale, avec des équipes d’encadrement composées d'analystes, de préparateurs mentaux et de spécialistes de la performance. Ce soutien logistique et technique est essentiel pour permettre aux joueurs de s’épanouir et de performer dans des environnements compétitifs.
Le LEC doit investir dans des infrastructures plus sophistiquées et adaptées aux besoins des joueurs. Les équipes devraient s’inspirer des modèles asiatiques en construisant des centres d’entraînement dédiés et en engageant des équipes de soutien complètes pour encadrer les joueurs. Cela inclut des analystes pour débriefer chaque partie, des coachs spécialisés dans la gestion de la pression mentale et des experts en nutrition et performance physique pour optimiser la condition des joueurs.
Les vestiaires des Arènes de la KCorp ont un objectif : le confort des joueurs (c) Karmine Corp
Améliorer la qualité des scrims et multiplier les bootcamps en Asie
La préparation aux Worlds passe par des entraînements de qualité contre les meilleures équipes. En LCK et LPL, les scrims sont réputés pour leur intensité et leur niveau élevé, avec des équipes qui s'affrontent régulièrement tout au long de l'année. En revanche, le LEC peine à maintenir ce niveau de compétition hors saison internationale, avec des scrims parfois limités à des équipes locales ou de régions mineures.
Le LEC doit organiser plus de bootcamps prolongés en Corée ou en Chine, permettant aux équipes européennes de s’entraîner contre les meilleures équipes du monde sur une base régulière. Ces échanges, au-delà des Worlds, permettraient aux équipes du LEC de s’adapter aux métas asiatiques et d'affiner leurs stratégies contre des styles de jeu auxquels elles ne sont pas souvent confrontées. De plus, des scrims réguliers contre les équipes asiatiques peuvent offrir une exposition aux jeunes talents, les forçant à s'adapter plus rapidement à un niveau de jeu supérieur.
Ces bootcamps pourraient également être couplés à des événements interrégionaux où les équipes européennes et asiatiques s’affronteraient hors des compétitions officielles. Cela permettrait de préparer les équipes européennes aux styles de jeu les plus difficiles à contrer et de créer une culture d’amélioration continue.
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Revoir le format du LEC pour augmenter la compétitivité
L’une des critiques majeures concernant le LEC est le faible nombre de matchs joués par rapport à d'autres ligues comme la LCK et la LPL. Le format actuel du LEC, avec des splits courts et peu de séries au format Bo3 ou Bo5, limite le nombre de matchs compétitifs pour les équipes. Cette situation crée une disparité en termes de préparation internationale, où les équipes du LEC arrivent aux tournois majeurs comme les Worlds avec moins de matchs de haute intensité dans les jambes.
Pour que les équipes LEC soient mieux préparées et plus compétitives à l'international, il est impératif de repenser le format de la ligue afin d’augmenter le nombre de matchs. Un passage à plus de séries en Bo3 (best of 3) au lieu du format classique en Bo1 (best of 1) permettrait aux équipes de s’entraîner dans des conditions plus proches des tournois internationaux. Cela augmenterait aussi la pression compétitive au sein de la ligue, forçant les équipes à ajuster leurs stratégies en fonction de chaque adversaire et à développer leur capacité à rebondir après des défaites en série.
À titre de comparaison, T1, équipe de premier plan en LCK, a disputé 164 matchs en 2024, tandis que G2 Esports, équipe phare du LEC, n’en a joué que 115. La différence devient encore plus frappante lorsqu'on regarde les moyennes des ligues : 107 matchs en moyenne par équipe en LCK contre seulement 64 en LEC, selon les chiffres partagés par Mister Yordle. Cette disparité de volume de matchs peut expliquer en partie pourquoi les équipes asiatiques sont souvent mieux préparées tactiquement et plus résistantes lors des longs tournois internationaux, qui utilisent majoritairement des formats en Bo5.
En augmentant le nombre de Bo3 et en introduisant plus de matchs par split, le LEC offrirait à ses équipes un environnement plus compétitif. Ce format permettrait également aux équipes d’explorer des stratégies différentes au cours d'une même série, de s'adapter plus rapidement et de développer la profondeur de leur pool de champions — des compétences vitales pour réussir aux Worlds ou au MSI. Pour élever le niveau de jeu dans le LEC et préparer les équipes à la rigueur des compétitions internationales, il est essentiel d'augmenter le nombre de matchs joués en compétition. En intégrant plus de Bo3 dans la ligue, les équipes européennes gagneraient en flexibilité stratégique et en capacité à gérer la pression des grandes séries. Cela constituerait une étape majeure dans la reconstruction de la compétitivité du LEC, en plus des réformes sur le scouting, le recrutement, et les infrastructures.
Les équipes coréennes et chinoises jouent beaucoup plus de matchs par saison que les formations européennes (c) Riot Games
Proposer une infrastructure et une formation diplômante pour devenir entraîneur
Dans les sports traditionnels, comme le football, devenir entraîneur nécessite des diplômes délivrés par des fédérations reconnues, garantissant un standard de compétence. Transposer ce modèle à l’esport, et en particulier à League of Legends, pourrait renforcer la compétitivité du LEC face aux grandes régions comme la LCK et la LPL. Inspiré des certifications de l'UEFA, il serait pertinent de créer un système de formation à plusieurs niveaux pour les entraîneurs de League of Legends. Un premier niveau formerait aux bases de l’analyse de jeu et à la gestion d’équipe, tandis qu’un second niveau, plus avancé, préparerait aux stratégies complexes et à la gestion des séries Bo3/Bo5. Le niveau supérieur concernerait la gestion d’équipes de haut niveau, avec des compétences en psychologie, en gestion du staff et en adaptation à la pression des compétitions internationales.
Riot Games et le LEC pourraient collaborer pour créer et superviser ce programme, incluant des cours théoriques, des stages pratiques, et des bootcamps en Corée ou en Chine, pour que les coachs puissent observer et apprendre des meilleures pratiques dans les ligues les plus compétitives. Ces stages leur permettraient d’acquérir des méthodes d’entraînement plus rigoureuses, directement applicables dans le LEC. Cette formation diplômante apporterait de nombreux avantages : une uniformisation des compétences des coachs, un meilleur encadrement des jeunes talents et une professionnalisation accrue du rôle d’entraîneur dans l’esport. L'introduction de ces standards garantirait que les coachs sont mieux préparés, ce qui permettrait aux équipes européennes de mieux rivaliser à l'international et d'élever globalement le niveau de jeu dans le LEC.
La globalisation des talents et ses effets sur le LEC
L'un des défis majeurs que le LEC rencontre actuellement est la fuite des talents européens vers d'autres régions, en particulier la LCS et certaines équipes asiatiques. Au fil des années, l'Europe a prouvé sa capacité à former de jeunes talents, mais ceux-ci finissent souvent par partir à l'étranger pour des raisons économiques ou en quête de nouvelles opportunités compétitives. Cette tendance affaiblit la scène européenne, car non seulement elle se prive de ses talents locaux, mais elle crée aussi un vide dans le vivier de talents qui pourrait permettre à la région de rivaliser à plus long terme.
Des joueurs emblématiques comme Perkz et Jensen, ou encore Bwipo et Inspired, initialement formés en Europe, ont rejoint des équipes nord-américaines attirés par des contrats lucratifs et de meilleures conditions économiques. Ce phénomène soulève une question cruciale pour le LEC : comment créer un environnement suffisamment attractif pour retenir ses talents et les empêcher de quitter la région ? Cela passe par une amélioration des infrastructures, des salaires compétitifs, et des projets à long terme qui donneraient aux joueurs des raisons de rester en Europe, tout en assurant leur progression vers le plus haut niveau compétitif.
Par ailleurs, certaines équipes européennes, dans leur quête de résultats immédiats, se tournent vers des joueurs étrangers pour combler les lacunes compétitives. Si cela peut fonctionner à court terme, cela pose un problème de renouvellement des talents locaux. Les équipes européennes doivent trouver un équilibre entre le recrutement de talents étrangers et la promotion de jeunes joueurs locaux, pour assurer un développement durable du LEC. Le maintien d'une identité européenne est essentiel pour la crédibilité de la ligue et son évolution à long terme.
Le Coréen Canna, jouant pour la KC en LEC, fait partie des joueurs « imports » (c) Riot Games
Critique du système ERL et des EMEA Masters
Le circuit ERL (European Regional League) et l'EMEA Masters sont des éléments clés du développement de jeunes talents en Europe, mais il semble que Riot Games ne leur accorde pas l'attention et les ressources nécessaires pour les faire évoluer pleinement. Bien que ces ligues aient permis à des talents de se révéler, le circuit ERL est souvent perçu comme sous-utilisé. Le système de ligue régionale reste solide dans certaines régions, comme la Superliga espagnole ou la LFL française, mais d'autres ligues, comme la NLC (Nordic League) et la Liga Portuguesa, peinent à se développer et à attirer des sponsors ou des talents, principalement en raison d'un manque de soutien financier et logistique de la part de Riot.
Les récentes expansions pour inclure des régions comme la Turquie ou le Moyen-Orient n'ont pas apporté les résultats escomptés en termes de compétitivité ou de développement de talents, malgré les efforts pour intégrer ces régions dans le circuit EMEA. Le produit en lui-même est solide : il offre une plateforme de développement, mais l’investissement de Riot dans ces ligues semble limité. Les formats compliqués ou les calendriers compressés, comme le format surchargé des Summer Splits avec des phases LCQ, n'aident pas à renforcer la visibilité ou la compétitivité des équipes issues de ces ligues. Pour réellement tirer parti du potentiel du circuit ERL, Riot Games doit repenser sa stratégie en offrant un soutien accru aux ligues régionales en difficulté et en améliorant la structure et l’organisation des compétitions. Un meilleur investissement pourrait aider à réduire le fossé entre les talents émergents et les équipes du LEC, augmentant ainsi la compétitivité globale de la scène européenne.
Bien que ces ligues aient produit des talents de qualité, certaines d’entre elles, comme l’Ultraliga, font face à des problèmes structurels majeurs. Par exemple, des retards de paiement de cashprizes ont été signalés, affectant la crédibilité de ces ligues et leur attractivité pour les équipes et les sponsors. Ces difficultés posent la question de la supervision. Actuellement, certaines ligues sont sous la gestion de TO (Tournament Organizers) tiers, ce qui semble être une source de dysfonctionnements. Il serait pertinent que Riot Games reprenne le contrôle direct du circuit ERL afin de garantir une gestion plus rigoureuse et plus transparente. Ce modèle de gestion tiers a conduit à des problèmes comme ceux rencontrés par l'Ultraliga, où les retards de paiement créent des tensions et nuisent à la confiance des joueurs et des équipes. De telles situations nuisent non seulement aux ligues, mais aussi à l’image générale de la scène européenne. Avec une gestion centralisée, le circuit ERL pourrait bénéficier de standards uniformisés, d'une augmentation des investissements et d'une meilleure visibilité. Cela permettrait de rendre ces ligues plus attractives, de développer une compétition saine et de mieux préparer les jeunes talents pour le LEC. En somme, le potentiel du circuit ERL est immense, mais il nécessite un engagement plus fort de Riot pour devenir un levier efficace de développement compétitif.
L'écurie française Vitality fait partie des quelques formations à avoir deux équipes LoL, en LEC et LFL (c) Riot Games
Riot Games doit prendre ses responsabilités
En tant qu'organisateur et régulateur du LEC, Riot Games joue un rôle clé dans l’évolution et la structuration de la scène compétitive européenne. Si les équipes LEC sont responsables de leurs propres performances et stratégies, Riot Games peut également influencer l’avenir de la ligue à travers ses décisions et politiques globales. Depuis plusieurs années, Riot Games a cherché à améliorer la stabilité du LEC à travers le modèle de franchise, garantissant aux équipes une place durable dans la ligue. Cependant, il pourrait être temps d'explorer de nouvelles pistes pour renforcer la compétitivité du LEC.
L’une des priorités de Riot Games pourrait être d'inciter les équipes à investir dans des équipes académiques, un domaine où l'Europe accuse un certain retard par rapport à des régions comme la Corée du Sud. Riot pourrait encourager ou imposer la création de centres de formation pour jeunes talents au sein de chaque équipe LEC, garantissant ainsi un encadrement structuré des joueurs dès leur plus jeune âge. Cela renforcerait le vivier de talents européens et assurerait une relève constante pour les équipes de la ligue.
De plus, Riot Games pourrait jouer un rôle crucial dans l'amélioration de la qualité des scrims et des entraînements des équipes européennes. Des bootcamps prolongés en Asie, parrainés par Riot, offriraient aux équipes LEC des opportunités d'entraînement régulier contre les meilleures équipes du monde. Cela aiderait non seulement les équipes à mieux s’adapter aux styles de jeu asiatiques, mais aussi à affiner leurs stratégies internationales en vue des compétitions majeures. Ces initiatives contribueraient à combler l'écart entre les équipes LEC et leurs homologues de la LCK ou de la LPL, tout en favorisant une préparation compétitive plus intense.
Enfin, Riot Games pourrait également mettre en place des tournois interrégionaux ou des événements de type exhibition, où les équipes LEC pourraient affronter régulièrement des équipes LCK ou LPL en dehors des compétitions officielles comme les Worlds ou le MSI. Cela permettrait de créer un cadre compétitif régulier et de faire en sorte que les équipes européennes soient constamment confrontées aux standards les plus élevés, favorisant ainsi une amélioration continue.
En somme, Riot Games a un rôle essentiel à jouer dans la structuration de la compétition européenne. En mettant l'accent sur le développement des jeunes talents, la qualité des entraînements, et en facilitant l’accès à des expériences internationales régulières, Riot pourrait contribuer à redonner au LEC sa place parmi les meilleures ligues de League of Legends au monde.
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La mentalité occidentale : l’obstacle majeur à la compétitivité du LEC ?
Dans l'analyse des performances des équipes occidentales sur la scène internationale de League of Legends, la mentalité compétitive constitue un facteur déterminant souvent sous-estimé. Contrairement aux équipes asiatiques (nous parlons ici des équipes de très haut niveau), réputées pour leur discipline rigoureuse, leur culture de l'effort intensif et leur capacité à se remettre en question, les équipes occidentales semblent parfois manquer d'une "mentalité de la victoire" constante. Cette différence fondamentale dans l'état d'esprit pourrait expliquer en partie la stagnation des équipes européennes et nord-américaines face aux puissances de la LCK et de la LPL.
Dans la culture asiatique, et notamment en Corée et en Chine, la compétition est perçue comme une quête constante d'excellence, où chaque joueur est prêt à se sacrifier pour perfectionner chaque aspect de son jeu (nous avons notamment pu voir certains dégats que cela provoquent sur la santé mentale et physique). La rigueur avec laquelle les joueurs asiatiques s'entraînent, souvent dans des conditions extrêmes, en fait des compétiteurs redoutables, habitués à la répétition des efforts pour atteindre la maîtrise. Chaque défaite est perçue comme une opportunité d'apprentissage et de progression, et cette capacité à se remettre en question permet aux équipes asiatiques d'ajuster rapidement leurs stratégies et de corriger leurs erreurs. Cela renforce leur cohésion et leur performance globale.
Les joueurs coréens et chinois sont réputés pour s'entraîner plus que rigoureusement (c) Riot Games
En Occident, bien que le talent soit indéniablement présent, l'approche est souvent plus équilibrée entre la vie personnelle et l'engagement professionnel. Cet équilibre, qui peut être nettement plus bénéfique pour la santé mentale des joueurs, s'accompagne toutefois d'une intensité d'entraînement souvent inférieure à celle observée en Asie. De plus, cette culture occidentale semble parfois freiner la remise en question au sein des équipes, surtout en période de difficulté, un probleme qui touche aussi bien les joueurs que les équipes. Cette réticence peut engendrer des tensions et des discordes internes, créant un effet boule de neige où les problèmes s'accumulent sans être véritablement résolus. Le manque de remise en question peut également entraîner des changements non planifiés en cours de saison, des décisions prises dans la précipitation face à des contre-performances ou des tensions internes. Plutôt que de s'attaquer aux causes profondes des problèmes, certaines équipes occidentales optent pour des solutions rapides, comme le remplacement de joueurs ou des ajustements tactiques à court terme, ce qui perturbe encore davantage la dynamique d’équipe. Ces changements non maîtrisés peuvent, à leur tour, créer de nouvelles complications et un cercle vicieux d'instabilité.
Un système voué à l’échec malgré les changements ?
Peu importe les efforts mis en œuvre pour améliorer les structures compétitives en Europe, une question persiste : est-il possible de combler l’écart sans un changement fondamental de la mentalité ? Les initiatives visant à améliorer le scouting, le recrutement, et même le format de la ligue auront du mal à porter leurs fruits si la culture compétitive n’évolue pas en profondeur. La mentalité asiatique, plus axée sur la discipline, la répétition et l'abnégation, contraste avec celle de l'Occident, où les efforts sont plus dispersés et moins focalisés sur la perfection continue. Cette différence culturelle pourrait limiter l’efficacité des réformes structurelles entreprises au sein du LEC.
Cependant, ce n'est pas une fatalité. L'évolution de la mentalité compétitive en Occident peut être lente, mais elle n’est pas impossible. Les changements structurels, s’ils sont accompagnés d’un effort pour élever la mentalité des joueurs et des organisations vers une approche plus rigoureuse et orientée vers la victoire, peuvent progressivement porter leurs fruits.
Si la différence de mentalité reste un obstacle majeur pour le LEC, il est essentiel d’envisager un changement culturel en profondeur. Les solutions ne résident pas uniquement dans des changements organisationnels ou dans la structure de la ligue, mais aussi dans une réinvention de la manière dont les joueurs et les équipes abordent l'entraînement, la compétition, et la victoire. Bien qu'il soit difficile d'imposer un changement de mentalité à court terme, une transformation progressive du rapport à l’effort et à l’excellence pourrait aider l’Europe à rattraper son retard face aux puissances asiatiques.
Le LEC, dos au mur, mais encore maître de son destin
Le LEC se trouve aujourd'hui à un tournant critique. Après deux années consécutives sans équipe en playoffs des Worlds, il est devenu évident que la scène européenne doit profondément revoir ses fondations si elle souhaite retrouver sa compétitivité internationale. Cependant, les réformes nécessaires ne doivent pas se limiter à des ajustements tactiques ou organisationnels superficiels. C’est l’ensemble de l’approche du jeu en Europe qui doit être repensé. Qu'il s'agisse d'améliorer le scouting des jeunes talents, de mettre fin au copinage dans le recrutement, ou d'optimiser les infrastructures et le soutien technique, des changements structurels profonds sont impératifs.
Mais les joueurs ne sont pas les seuls à devoir faire un effort de remise en question. Les équipes, et surtout leurs managers et directeurs, doivent également se pencher sur leurs propres pratiques. Trop souvent, les décisions stratégiques sont prises dans un cadre où les objectifs de business l'emportent sur les performances à long terme. Cette approche crée un déséquilibre qui finit par impacter la cohésion des équipes et leur progression. Des changements de roster précipités en milieu de saison, par exemple, sont souvent le résultat de la pression immédiate de résultats ou de tensions internes qui n'ont pas été résolues à temps. Ce genre de décisions, prises sous le coup de la pression, peuvent miner la stabilité d'une équipe et engendrer de nouveaux problèmes, créant un cercle vicieux.
Il est donc nécessaire que la remise en question s'opère à tous les niveaux. Non seulement les joueurs doivent être capables de reconnaître leurs erreurs et de chercher à s'améliorer, mais les dirigeants doivent également adopter des bonnes pratiques managériales qui encouragent une vision à long terme, alliant objectifs compétitifs et impératifs économiques. Cela signifie qu'il faut non seulement veiller à la performance des joueurs, mais aussi à leur développement personnel et à leur bien-être. Une équipe performante est une équipe stable, dotée d'une direction claire et d'une gestion cohérente, et qui ne sacrifie pas l'efficacité pour des gains rapides ou des ajustements temporaires.
En 2019, G2 avait atteint la finale des Worlds (c) Riot Games
La remise en question ne doit pas uniquement concerner les individus, mais bien l’ensemble du système. Peut-être est-il temps pour le LEC de se demander si s'inspirer du modèle coréen, avec sa rigueur et son exigence de perfection constante, est une voie à suivre. La Corée du Sud, avec sa LCK, a prouvé que le succès repose sur une discipline inébranlable et un effort continuel pour se surpasser. Les équipes coréennes adoptent une approche méthodique, cherchant toujours à tirer des leçons de leurs défaites pour progresser. Leur mentalité de la victoire est ancrée dans une culture où la répétition et l’effort intensif sont la norme. Cela permet aux équipes et aux joueurs de s'améliorer à chaque étape, et d'être constamment en quête d'excellence.
Cela dit, appliquer un modèle à l'identique en Occident n'est peut-être ni réaliste ni souhaitable. Les différences culturelles sont bien présentes, et l'équilibre entre la vie professionnelle et personnelle est perçu différemment en Europe. Cependant, cela ne signifie pas que des éléments clés de cette mentalité, tels que la rigueur, la discipline, et la répétition intensive, ne peuvent pas être adaptés pour améliorer la compétitivité du LEC. À travers des initiatives comme des bootcamps en Asie, une formation approfondie des coachs pour qu'ils adoptent des méthodes plus rigoureuses, et une refonte de la mentalité collective, l’Europe pourrait créer sa propre voie vers le succès.
Le retour à une scène européenne compétitive à l'international sera un processus long et difficile. Mais il est réalisable si le LEC parvient à équilibrer ses ambitions business et ses besoins en performance. Une harmonisation de ces deux aspects, accompagnée d'un changement de mentalité, est cruciale. Des réformes structurelles doivent aller de pair avec une introspection profonde, tant des joueurs que des dirigeants. En s'inspirant des meilleures pratiques mondiales tout en cultivant ses propres forces, le LEC peut se redonner une chance de briller à nouveau sur la scène internationale.
Le LEC, malgré ses échecs récents, est encore maître de son destin. Mais pour redevenir l’une des meilleures ligues de League of Legends, la clé sera une remise en question systémique et un véritable engagement vers l'excellence, à tous les niveaux. Les joueurs, les coachs, les managers, et même les organisations dans leur ensemble doivent apprendre à équilibrer le court terme et le long terme, à allier compétitivité et stabilité, et à adopter une approche holistique qui inclut à la fois la performance sportive et les réalités du business. C’est à ce prix que le LEC pourra retrouver sa place parmi les meilleures ligues du monde.
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