Lors du Six Invitational, nous avons pu discuter avec Lyloun, la coach de Wolves Esports. Cela a été l'occasion de revenir sur la manière dont elle a vécu le Major de Montréal et d'apprendre de précieux éléments sur le fonctionnement du staff technique de l'équipe notamment.

Lyloun nous parle du Six et de ses fonctions chez Wolves

Les Français de Wolves Esports ont été à la tête d'une remarquable prestation au Six Invitational 2023, auquel ils ont terminé sur un Top 5/6 après leur défaite face à G2 Esports, les futurs vainqueurs du tournoi, en entame du Main Event.

Cette performance, les jaune et noir la doivent notamment à leur staff technique, au sein duquel nous retrouvons Laurie "Lyloun" Lagier. D'abord joueuse au sein de l'équipe quand elle représentait encore Team Vitality, Lyloun encadre BiBooAF et ses mates depuis plus de trois ans désormais.

Au Six Invitational, *aAa* a pu échanger avec elle et évoquer différents sujets, de l'événement à la manière dont elle voit la suite de sa carrière, en passant par sa vision de son rôle et ses méthodes de coaching au sein de Wolves Esports.

*aAa* : Malgré la déception, quel retour aurais-tu à faire sur votre match contre G2 ?
Laurie "Lyloun" Lagier : Sur le match d'hier, mais cela englobe également les précédents, on a beaucoup appris. Je pense que les gars ont eu un déclic par rapport à des choses sur lesquelles nous essayions de travailler depuis un moment : comment utiliser nos forces, comment dissimuler certaines de nos faiblesses et du coup optimiser au mieux le rapport entre chacun sur le serveur. Je pense qu'il y a eu un vrai déclic avec cet event pour chacun d'entre eux vis-à-vis de cela. Concernant le match contre G2, je ne dirais pas qu'il y a de grandes leçons à en tirer. G2 est une équipe que l'on connait très très bien et que nous nous savons capables de prendre, comme on l'a fait cette année, plus tôt dans l'arbre et comme nous étions proches de le faire à nouveau. Je pense qu'il y a un élément qui ressort généralement, c'est le jeu, la direction dans laquelle il va, son dynamisme, le besoin d'initiative, le besoin de niveau individuel, des choses comme celles-ci qui ressortent et qui font réfléchir à comment on peut encore optimiser nos forces. C'est ce genre de choses-là qui sont mises en valeur avec un match comme celui d'hier. Si j'isole ce match-là contre G2, il n'y a pas de grandes leçons à en tirer. Ce que j'ai vu, ce sont des gars qui n'ont jamais abandonné, même face à un 0-6, même en étant dominés sur le serveur par une équipe qui prenait de plus en plus de confiance individuellement, qui était de plus en plus agressive... Les gars avaient envie de se battre, envie de remonter et c'est une grande qualité. Ce n'est pas non plus une leçon car c'est quelque chose que je connais d'eux depuis un moment désormais.

D'un point de vue personnel, c'était ton premier Six, ton premier Main Event, comment as-tu vécu cette expérience ? Peut-on parler d'un accomplissement dans ta carrière ?
J'avais un grand grand objectif à titre personnel que de coacher sur la scène du Six. Cela fait quelques années que je passais à côté et mon coeur de compétitrice est brisé par cela. J'ai été extrêmement heureuse, après la déception de la phase de groupes, que nous soyons arrivés à remonter la pente et à s'offrir cette expérience-là. De mon entrée à mes derniers pas sur la scène, j'ai eu des frissons tout le long. C'est une expérience incroyable et je vis pour cela. Je n'ai qu'une hâte, c'est d'y retourner. Je trouve également avoir beaucoup appris en tant que coach à cet événement. J'ai vraiment découvert une adrénaline tout autre qui te porte complètement différemment de celle d'un Major. Un Major, c'est déjà incroyable, mais là, cela n'a rien à voir. On parle d'une échelle complètement différente. C'est incroyable et j'espère juste que cela continuera longtemps.


Crédits : Ubisoft

Tu dis avoir beaucoup appris sur toi et sur l'équipe. Sur quels points ?
J'ai beaucoup appris pour l'équipe, c'est sûr. Mais ce que j'ai le plus appris sur moi, c'est que j'ai tendance à protéger mes joueurs d'eux-mêmes, mais aussi d'une certaine manière de la critique et de comment la recevoir. J'ai tendance à faire en sorte qu'ils se concentrent plus sur le positif que le négatif et sur cet événement-là j'ai trouvé un meilleur équilibre dans les moments où c'est important qu'ils entendent des vérités qui sont dures. C'est vraiment quelque chose, non pas que j'avais du mal à le faire avant, que je voyais d'une manière différente, je ne le voyais pas forcément nécessaire. A cet event, je le trouvais nécessaire et je me suis trouvée beaucoup plus confortable à l'idée de le faire. Je pense que c'est ma plus grosse leçon personnelle.

Pour conclure ce point, ta manière de coacher et ta vision de tes fonctions ont été transformées lors de ce Six...
Oui, c'est certain. Ma vision de ce que je dois leur apporter, quelle communication je dois avoir avec eux, je suis sûre d'avoir grandi et je suis aussi très satisfaite de ce que j'ai pu tirer de ma collaboration avec mon assistant coach, qui est un travail sur le long terme. On y va un petit peu à tâtons, on teste des choses, on en essaye d'autres et je suis très très contente de ce que j'ai réussi à tirer de cette collaboration cette année.

Très bonne transition, car je souhaitais évoquer cette fonction d'assistant coach occupée par Helbee. Comment fonctionne votre duo, quel est ton rôle, quel est son rôle, comment faites-vous matcher les deux ?
Helbee est quelqu'un qui a de base beaucoup plus la tête dans les chiffres, les éléments factuels, les données, que moi, qui suis plus quelqu'un de très instinctive. Je pense que je ne perdrai jamais cette âme de joueuse que j'avais de base qui fait que je suis beaucoup plus dans le ressenti du jeu, dans la lecture du moment. Je pense que Louis (Helbee, ndlr) a de grandes facultés à regarder des chiffres, à les comprendre et les mettre en relation avec certains éléments, ce qui fait que l'on se complète assez bien à ce niveau-là. On l'appelle assistant coach, mais la tâche que je lui confie le plus sont les analyses, justement pour mettre en valeur ses qualités. Les analyses sont quelque chose de factuel. Derrière, la manière dont il les présente à moi dans un premier temps, puis ensuite à l'équipe, permet de mettre en corrélation son côté très factuel, donnée, réel avant de réfléchir à quoi en faire et comment les appliquer sur le serveur. Cela génère des idées chez moi, chez les gars et on voit ce que l'on peut créer ensemble, on fait notre jeu autour de cela.

Es-tu une coach d'avantage stratégique, mentale, ou un petit peu des deux ?
Je ne m'attribuerai jamais la casquette de coach mental car c'est quelque chose dans l'esport qu'on attribue selon moi trop et très facilement. Pour moi, un coach mental, c'est un métier à part entière qui relève de la psychologie. Je n'ai pas fait d'études là-dedans, je n'en ferai pas et ne m'attribuerai jamais cette casquette. J'aime la stratégie du jeu, je le connais comme ma poche, donc forcément, j'ai un pied là-dedans. Je ne me donnerai pas d'étiquette précise étant donné que j'interviens sur les domaines que je maîtrise. Je vais donc intervenir sur le jeu, sur le teamplay, sur la communication qui sont des domaines qui me tiennent à coeur et qui, je pense, sont très importants sur R6. Je ne parlerai pas de moi comme étant une coach mentale, mais je ne parlerai pas non plus de moi comme étant une coach stratégique car je pense que mon domaine d'intervention est un peu plus large que simplement la stratégie.


Crédits : Ubisoft

Que penses-tu de la notion de capitaine d'équipe de nos jours ? Existe-t-elle encore malgré l'apparition récente de staffs techniques ?
Je pense qu'avoir un capitaine sur le terrain ou sur le serveur, toute discipline confondue, est très intéressant. Surtout en tant que staff, cela permet d'avoir d'une certaine manière la prolongation de notre effet sur l'effectif entre les joueurs. C'est important dans la mesure où on n'a pas autant de place. En tant que coach, je ne peux parler que 45 secondes pendant un match. C'est très rapide et il est très difficile d'avoir un effet sur le moment. Avoir un capitaine avec qui ta relation de travail est profonde, je trouve cela très important. Je pense que c'est bien aussi pour donner un rythme à ton équipe, et quand je parle de rythme, je ne parle pas de rythme de jeu, je parle de vibe générale de l'équipe. Je pense que c'est bien d'avoir une personne à qui se référer au sein du roster. Maintenant, cela a des côtés un petit peu plus difficiles forcément sur un effectif de seulement cinq personnes. Dans des sports collectifs avec des équipes jusqu'à 30 joueurs en comptant les remplaçants, avoir un capitaine est différent qu'en avoir un dans une équipe de cinq joueurs. Cela crée un déséquilibre assez rapidement. C'est aussi là que l'on intervient en tant que staff, afin de refaire l'équilibre. Je pense que cela dépend aussi de ton équipe. Nous, notre fonctionnement avec un capitaine est intéressant et peu je pense bénéficier à pas mal de joueurs. Maintenant, je ne le verrai pas pour n'importe quelle équipe non plus.

A la fin des rounds et pendant les timeouts, des micros placés entre les joueurs permettent aux spectateurs du stream d'entendre la communication des équipes. Qu'est-ce que tu en penses ? Faut-il pouvoir entrer dans cette intimité des équipes, ou est-ce selon toi quelque chose qui doit être dissimulé ?
C'est vrai que cela a été très controversé. J'ai un avis un petit peu partagé. Je trouve cela plutôt chouette, très intéressant de pouvoir avoir un oeil sur comment cela se passe à l'extérieur. C'est très simple au sein d'une équipe, surtout quand elle est formée depuis longtemps, de te dire soit que ce que tu fais est très bien et ne doit pas changer, soit que ça ne fonctionne pas, qu'il faut qu'on change. L'herbe est toujours plus verte ailleurs donc entendre comment cela se passe ailleurs est toujours très intéressant. Je pense que c'est aussi très intéressant de voir qu'il n'y a pas de solution miracle, d'attitude particulière à adopter et que cela dépend vraiment des personnes avec qui tu travailles. Je penche plus pour le côté positif de ce que cela apporte. Bien évidemment, quand tu veux parler davantage de stratégie... en fait il y a toujours un moyen de le cacher. Tu peux masquer ta bouche avec ton carnet, tu peux parler un petit peu moins fort, les micros sont ouverts mais pas non plus très très sensibles, donc si on veut vraiment être discrets, on peut l'être. Je pense que c'est bien aussi pour le public de se rendre compte qu'il y a des humains qui travaillent derrière cela et les micros ouverts lui apportent un petit peu ce point de vue. Je pense que c'est intéressant, notamment pour de plus jeunes joueurs, un peu moins expérimentés, de pouvoir voir ce qui les attend.

Vous avez été réguliers cette saison, mais votre Top 6 mondial acquis à ce Six est une performance à mettre en exergue par rapport aux autres. Cela ne sera-t-il pas plus compliqué de rester à ce niveau et à cette dynamique, que cela ne l'a été d'y arriver ?
Je pense que cette équipe a toujours eu un potentiel, surtout stratégique. Je pense aussi qu'elle a certaines limites, comme dans tout effectif. Je pense qu'on pourrait parler de sur-performance à l'année avec notre effectif. C'est dû à beaucoup de travail de la part de chacun, je pense pas qu'avec les changements qu'il y a dans les équipes mondiales, on puisse parler de standard atteint et acquis. Je ne pense pas que l'on puisse se dire que parce qu'on a fait une saison si régulière, un Top 1 et deux Top 3 en European League, on puisse s'assurer d'être Top 1 pour l'année qui suit. Rien n'est jamais acquis. Le jeu évolue, les équipes changent, les effectifs changent, les lignes directives changent, je pense que tout est à refaire, tout est à reprouver à nouveau et tout l'est constamment.


Crédits : Ubisoft

Tu es sur R6 depuis le début du jeu, d'abord en joueuse, ensuite en coach. Comment vois-tu la suite de ta carrière ? Souhaiterais-tu voir autre chose ? Partir coacher à l'étranger ? Comment vois-tu la fin de ta carrière ?
De là à voir la fin de ma carrière, je ne sais pas, car je n'estime pas être à la fin de ma carrière. L'avantage d'un rôle de staff, c'est que ton âge et potentiellement tes réflexes ou ta forme sont moins importants qu'ils ne le sont pour un joueur, même si encore une fois je pense que l'âge n'est qu'un chiffre, cela a ses limites et c'est très personnel. Je pense que pour tout ce qui est de ces métiers de passion, dont l'esport, la première barrière est la motivation et cette passion dont je parle, je pense que le jour où je n'aime plus le jeu, ou le jour où cela ne me fait plus vibrer comme cela m'a fait vibrer d'être sur une scène comme le Six, cela sera le jour où je déciderai d'arrêter. Je suis une compétitrice, et le jour où je n'aurai plus cet esprit, je déciderai également d'arrêter. Maintenant, avoir des envies d'ailleurs, je pense que c'est une question de challenge. Si je trouve qu'avec l'effectif dans lequel je suis aujourd'hui, je ne peux plus rien apporter ou si je trouve que le challenge n'est pas assez intéressant, alors cela sera une raison d'essayer quelque chose de nouveau. Je n'en suis pas là à l'heure actuelle. Forcément, j'y réfléchis comme toute personne, je pense que c'est important, surtout en fin de saison, de se poser ce genre de question. Mais je n'en suis pas là et j'estime avoir encore beaucoup de choses à accomplir avec la base de cet effectif.