Selon le rapport annuel du SELL, les joueuses représentent aujourd’hui plus de la moitié des gamers en France. La féminisation du secteur progresse, mais le chemin est encore bien long en France comme ailleurs…
Edito : Triste récit d’un secteur pionnier bien en retard
Si on peut se réjouir d’observer qu’un cap symbolique a été franchi (la part des femmes dans le public adeptes de jeux vidéo atteint désormais 51%), l’industrie du gaming et de l’esport a en réalité un véritable train de retard en matière d’égalité des sexes. Le sujet ne cesse d’être abordé, les opérations de communication se multiplient, mais les actions se font encore attendre. Reconnaître l’état de l’écosystème avec transparence et honnêteté, c’est déjà une première étape vers la solution.
Notre secteur, tout comme le secteur des médias et du divertissement, est un reflet de la société. La véritable différence, c’est que notre industrie est pionnière et ce statut doit être honoré. La seule façon de le faire, c’est l’exemplarité. Comment ? En donnant le ton à l’ensemble des industries médiatiques : porter des rôles models, continuer d’éduquer et de former, revoir les circuits universitaires, casser les stéréotypes, et surtout devenir irréprochable de l’intérieur.
Pourquoi il faut mettre les chiffres du SELL en perspective ?
Déjà car les femmes sont sur-représentées sur le segment du mobile (55% selon l’étude IPSOS pour le SELL). Loin de moi l’idée de dénigrer le jeu et l’esport mobile, on constate néanmoins un attrait particulier de la cible pour les licences dont la dimension compétitive est quasi (voire totalement) absente (en témoignent la représentation plutôt faible des femmes dans les ecosystèmes LoL (12%) ou CS:GO (22% selon Newzoo) et leur absence totale sur ces deux circuits à un niveau professionnel).
Le bilan 2020 du marché français réalisé par le SELL est à retrouver par ici.
Le problème est en réalité bien plus profond
Il est global car il est présent dans la quasi-totalité des verticales du secteur, ou du moins les plus visibles : le stream (une seule femme présente parmis les 34 streamers les plus suivis sur Twitch selon Brandwatch), la pratique compétitive (6% de femmes seulement sur les 1,6M de compétiteurs en France selon les chiffres du SELL), et la conception même des jeux (80% des salariés du secteur sont des hommes à l’échelle mondiale selon The Guardian).
Des racines masculines historiques et culturelles
Entre 2019 et 2020, les protagonistes féminins représentés dans les jeux ont augmenté d’environ 15%. Une nette amélioration qui cache néanmoins une triste réalité puisque ce chiffre n’atteint aujourd’hui que 18% selon Wired. Et c’est là que se situe le coeur du problème. Si on prend l’exemple (pour le moins parlant) de l’E3, seulement 5% des lancements de jeux étaient basées sur l’histoire d’un héros féminin. Pire encore, on ne comptait que 21% de speakers féminins.
Le constat est simple : les femmes sont sous-représentées dans les jeux, donc moins visibles dans la publicité pour les jeux. Ainsi, elles ont moins tendance à vouloir faire carrière dans notre industrie car elles se n’y retrouvent pas. Ajoutez à cela la communauté et l’environnement jugés parfois toxiques, les cas de harcèlements (parfois sexuel, souvent moral) et les écarts de salaires flagrants et incompréhensibles entre hommes et femmes chez les éditeurs, vous obtenez un véritable cercle vicieux dont il est forcément compliqué de sortir.
Traiter le problème à sa BASE
Si la sensibilisation est un allié formidable, ce n’est pas pour autant la seule solution. La formation, l’accompagnement, l’engagement et parfois même la sanction peuvent par contre l’être. Les joueuses ont besoin de s’identifier au secteur, de se sentir à leur place, et c’est le rôle que doivent jouer les studios et les éditeurs aujourd’hui : montrer qu’elles ont et qu’elles auront toute une place dans notre écosystème. Seulement 15% des créateurs de jeux sont des femmes. Or, la mixité permet pourtant l’expression de nouveaux points de vue créatif. La conception de jeux est une discipline artistique, elle doit être reconnue et enseignée comme telle, pas comme un exercice technique nous ramenant systématiquement aux maux trop connus de l’industrie de la technologie : une prédominance masculine. C’est à travers ce changement de regard que nous pouvons façonner une industrie plus inclusive.
Créer un environnement sain
Au-delà même des sous-cultures en interne comme en externe parfois toxiques dans la communauté, il s’agit également d’un enjeu d’image. Dans les jeux, la représentation de la femme passent trop souvent au prisme d’une vision masculine hétérosexuelle du monde. Un sujet parfaitement abordé par Thomas Versaveau (Game Spectrum) dans son documentaire “Qui sont les joueurs de jeux vidéo” et dont les studios devraient rapidement s’emparer.
Si le cinéma a déjà commencé à faire sa révolution, il est temps pour le premier secteur culturel au monde d’enclencher la sienne et surtout de l’intensifier. Notre secteur a besoin d'héroïnes. La presse ne doit pas cacher ce que représentent réellement l’engagement des acteurs de l'écosystème à ce jour : de la poudre aux yeux.
Modifié le 24/03/2021 à 20:42
Je me demande d'ailleurs si on peut vraiment parler de secteur pionnier, cette "culture" du jeu vidéo et sa "vision masculine hétérosexuelle du monde" comme il est dit dans l'article, elle se construit depuis plus de 40 ans.
Bien sûr depuis quelques années, ça correspond de moins en moins à la réalité du marché et du gamer "type", mais celui qui créer des jeux aujourd'hui, il a bien souvent 20 ou 30 ans de cette "culture" derrière lui comme références.
L'évolution des joueurs va obliger le marché à s'adapter et dans 20 ans cette évolution sera peut-être devenu la "norme". Ce qui ne veut pas dire, qu'il ne faut pas militer aujourd'hui pour faire évoluer les mentalités, simplement qu'il ne faut pas se décourager si ça n'arrive pas du jour au lendemain.
Après je pense aussi qu'on regarde ça avec une loupe, mais que comme dit en début d'article, c'est un fait de société qui dépasse largement le petit monde du gaming. En France tu as plus "d’électrices" que "d’électeurs", mais il a fallu imposer des "quota" il n'y a pas si longtemps, pour avoir un début de quelque chose de vaguement représentatif de la population au niveau des élus.
Bref, gardons espoir :)
"L'évolution des joueurs va obliger le marché à s'adapter et dans 20 ans cette évolution sera peut-être devenu la "norme".é
Il y a une phrase dans le rapport FNATIC "Gender equality in gaming" qui me semble très intéressante et qui répond à cette question que je vais me permettre de citer.
"A firmer hand may be required to tackle problems where female creators are challenged with toxicity and sexually inappropriate behaviour towards them on stream or commented on in their content. By taking a proactive role in creating a community which is secure and trustworthy, female creators can be more comfortable to be themselves. The responsibility of streaming platforms and creator communities is brought into focus to moderate themselves in such a way that this behaviour is no longer tolerated."
Cela signifie concrètement que nous ne pouvons pas attendre 20 ans que le secteur évolue naturellement. Des actions doivent être prises, et parfois, la sanction peut être une bonne chose.
"Si on peut se réjouir d’observer qu’un cap symbolique a été franchi (la part des femmes dans le public adeptes de jeux vidéo atteint désormais 51%),[...]"
Désolé mais je n'arrive pas à trouver cette information dans le document du SELL que vous mettez en lien.
A la page profil du joueur régulier français il est indiqué : 53% homme et 47% femme.
J'ai lu l'intégralité du bilan sans trouver cette info et quand je fais une recherche précise du nombre "51" dans le document ça ne donne aucune occurrence concernant la part des femmes, s'agit-il d'une erreur ?
A noter également que dans votre paragraphe "pourquoi faut-il mettre les chiffres du sell en perspective" vous pouviez préciser les limites du sondage à savoir, je cite :
"Données recueillies et analysées par Médiamétrie pour le compte du SELL, dans le but de mesurer et de comprendre les usages et profils des joueuses et des joueurs de jeux vidéo en France.
Étude réalisée sur Internet du 1er au 24 septembre 2020, auprès d’un échantillon de 4 072 internautes de 10 ans et plus, représentatif de la population d’internautes vivant en France".
Je laisse à d'autres qui s'y connaissent mieux en sondage le soin de déterminer si 4072 internautes suffit à être représentatif de la population française sur ce sujet.
Sinon d'accord avec MaTmax il faut probablement laisser le temps à ce genre de chose de s'équilibrer naturellement.
J'ai bien conscience que certain(e)s sont impatient(e)s et veulent accélérer les choses mais pas sûr quand forçant le naturel on ne fasse pas pire que mieux.
Les femmes et les hommes ne sont pas non plus obligés d'avoir les mêmes centres d’intérêts (et je ne dis pas ça pour la pratique du jeu vidéo mais bien plus pour la pratique compétitive du jeu vidéo, qui est beaucoup moins courante).
Et à ce propos me vient toujours en têtes l'exemple des compétitions esport réservées aux femmes alors que contrairement aux sports traditionnels rien ne justifie cette mise à l'écart et qu'elles ne puissent participer à des compétitions mixtes de jeux vidéo.
Merci pour ton message.
Je vous confirme qu'il ne s'agit pas d'une erreur, les femmes sont plus représentées que les hommes parmi les 36 millions de Français qui jouent au moins occasionnellement aux jeux vidéo. On parle bien des publics adeptes de jeux vidéos. La gente féminine représente 51 % du public concerné, avec plus de 400 000 nouvelles venues en 2020 et cette tendance serait en grande partie liée aux confinements de l'an dernier.
Source : https://www.europe1.fr/culture/jeux-video-il-y-a-desormais-plus-de-joueuses-que-de-joueurs-en-france-4029044
https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/jeux-video-les-femmes-sont-plus-nombreuses-parmi-les-joueurs-en-france-05-03-2021-2416476_47.php
Sur la méthodologie de l'étude, tu as entièrement raison, il semble nécessaire de rappeler que l'échantillon est de 4 072 internautes sensé représenter l'ensemble de la population française. Néanmoins, il convient de mettre ces chiffres en perspective avec ceux à l'échelle mondiale. On constate ainsi que les chiffres avancés par le SELL semblent cohérents.
Enfin, sur ton dernier point, je ne suis pas tout à fait d'accord. L'industrie a besoin d'un "wake-up call", c'est notamment le sujet du rapport FNATIC "Gender equality in gaming" que je vous invite à lire faisant état d'une industrie qui a accumulé bien trop de retard en la matière. Aussi, "laisser les choses se faire naturellement" ne serait pas productif. On a bien vu les dérives globales dans les secteurs des médias, du cinéma, et même du sport et c'est ce que nous devons éviter à tout prix. Il n'y a qu'à regarder le nombre de femmes parmi les conseils d'administration des top publishers pour comprendre l'ampleur du problème.
Tu as tout à fait raison de souligner la présence de compétitions réservées aux femmes. Je partage ton point de vue sur la question. Néanmoins, je suis moins critique, je pense qu'il s'agit d'une première étape vers la mixité dans l'esport. A défaut de servir le fond du propos, ces compétitions peuvent néanmoins servir à identifier des roles models, et même des futures championnes. Les marques ont tout intérêt à se positionner sur ce segment afin d'accompagner la transition de l'écosystème.
Un homme et une femme, c'est différent, quoi qu'on en dise (et heureusement). Ce qui implique différents comportements, sensibilités, etc. Ca, comme l'explique le reportage, c'est notre sexe. Ensuite vient le genre, que l'on accepte ou pas. Du coup, ça nous donne deux composantes : l'inné et l'acquis.
Moi, qui ai la trentaine, je peux me dire que si je souhaite des enfants, il m'est possible d'attendre quelques années. Une femme, malheureusement non. C'est juste un élément, mais juste à partir de ce point, toute la réflexion qui va découler sur les choix futurs (que dois-je prioriser ? Pro ? Perso ?) est très différente. C'est injuste, je le sais, mais c'est comme ça... Du coup, toutes les femmes n'ont pas forcément envie d'investir plus de 50h par semaine dans un job (souvent nécessaire pour atteindre des postes à hautes responsabilités).
D'ailleurs, les deux seules femmes de mon entourage que je connaisse qui investissent un énorme temps dans le travail sont : une femme ne souhaitant pas d'enfants, une autre où le papa est père au foyer (ce n'est absolument pas représentatif, mais je tenais à le dire :))
Le reportage parle également du fait que le manque de femmes et de la représentation féminine dans le jeu vidéo en général est dû à notre société et à la culture. Tout à fait d'accord avec ça, mais, selon moi, pas que. Si on prend les pays qui œuvrent le plus pour l'équité sociale (les pays nordiques, je parle de la Suède dans cet exemple), on observe qu'il y a toujours des différences notables entre hommes et femmes lors du choix de l'orientation professionnelle. Il y a toujours une majorité écrasante de femmes (+ de 80%) qui s'orientent vers des métiers liées à la santé et au soins d'autrui, et une majorité d'hommes dans les métiers d'ingénieurs (2/3). Du coup, il y aura toujours des métiers sous-représentés par l'un des deux sexes.
Après, la question de l'équité, c'est autre chose. Il est clairement aberrant qu'une femme à compétences, travail et investissement égaux d'un homme soit moins rémunérée et moins reconnue. Tout comme il est aberrant de voir le comportement de certains hommes par rapport aux femmes dans le jeu vidéo. Tout comme il est triste de voir que la femme est représenté comme objet de l'homme et de ses fantasmes. D'ailleurs, certaines l'ont très bien compris et arrivent à avoir une vie plus que confortable en jouant sur ça (et je leur dis sincèrement bravo).
A l'époque de CS 1.6, il y avait une scène féminine mondiale et vivante. Le jeu n'était pas professionnel (sauf pour quelques équipes internationales) et l'exigence du haut niveau n'était pas la même. Aujourd'hui, elle a fortement augmenté. Les chiffres que tu donnes (plus de femmes jouent que les hommes) sont à contraster car cela est notamment dû aux jeux smartphone et à Nintendo (qui a bien compris le filon du joueur "casu" avec la Wii et les consoles portables). Du coup, on peut se poser la question si le jeu à très haut niveau est une activité qui attire les femmes.
Et de manière générale, quand je retourne 10-15 ans en arrière, je me dis qu'il y a une pu**** de différence. Le jeu vidéo était diabolisé, considéré comme un des maux de la société, et dire qu'on y jouait plusieurs heures par jour était mal vu par les personnes lambdas. A titre d'exemple, quand j'étais au lycée et à l'université, j'ai toujours eu une petite gêne à dire que je faisais des LAN avec ma team sur 1.6 et que c'était ma passion, que ça sortait du cadre du joueur mais rentrait plus dans la dynamique d'une équipe qui voulait bien performer. Maintenant, quand j'en parle, j'en suis fier, fier d'avoir pu investir du temps dans une passion pour me dépasser. Parce que maintenant, les gens n'ont plus ce regard faussé sur le jeu vidéo.
Je pars un peu dans tous les sens, mais ce que je souhaite dire c'est que cela est un peu trop facile d'assigner tous les maux à notre société en éliminant les différences entre hommes et femmes. Et que, comme d'autres commentaires l'ont signalé, le temps et les combats menées aideront à rendre le jeu vidéo plus mixte, plus respectueux. Et comme tu le dis également, il ne faut pas hésiter à sanctionner lorsque cela est nécessaire.