La structure russe, qui appartenait jusqu'à maintenant à une holding au main du pouvoir, a changé de dirigeant et aurait été vendue entièrement à un groupe d'investisseurs inconnus basés en Arménie. Une transaction mystérieuse qui a pour principal but d'obtenir la levée des sanctions occidentales à son encontre.
Virtus.pro passe sous pavillon Arménien
La célèbre structure russe, fondée en 2003 par Irina "Runcha" Semenova, a véritablement pris son envol professionnel dans l'esport suite à la reprise du tag en 2011 par l'homme d'affaires russe et ancien joueur Anton "Sneg1" Cherepennikov. L'organisation a par la suite grossi de manière extrêmement rapide, d'abord grâce aux 100 millions de dollars injectés par l'oligarque russe Alisher Usmanov, puis par son intégration dans ESForce Holding qui regroupe tout un tas d'activités dont une régie publicitaire mais également l'organisateur d'événements Epic Esports Events. Les liens entre cette entreprise majeure de l’écosystème esportif mondial et le gouvernement russe sont directs, que ce soit via certains employés ou investisseurs dont le réseau social VK et le géant gazier Gazprom (L’État en est toujours l'actionnaire majoritaire). Cette position ne posait pas réellement de problème jusqu'au 24 février dernier, date de l'invasion des troupes russes en Ukraine. Depuis les pays occidentaux ont décidé d'appliquer un certain nombre de sanctions qui ont frappé de plein fouet Virtus.pro. Aucun événement esport majeur n'a eu lieu en Russie depuis cette date et un certain nombre de contrats de sponsoring ont été gelés. De plus les joueurs n'avaient plus le droit de jouer sous le tag VP et ont dû porter une bannière neutre Outsiders.
Si d'autres organisations russes ont fait des choix différents, la Team Spirit a notamment provisoirement déménagé en Serbie tandis que Gambit Esports a tout simplement choisi de vendre son équipe, Virtus.pro campait sur ses positions et était même le club qui avait les réactions les plus véhémentes face aux sanctions qu'ils subissaient. Auparavant partenaires des Ukrainiens de Natus Vincere par exemple, dont le co-fondateur Oleksandr "ZeroGravity" Kokhanovskyi a également participé à la mise en place de l'ESForce Holding, tous les liens notamment via la régie publicitaire russe ont été coupés entre les deux structures dès le 1er mars 2022. Pourtant malgré ces sanctions et le gèle d'une bonne partie des finances, l'organisation semblait plutôt bien résister même si les montants astronomiques réclamés pour le transfert de leurs joueurs ou de leur équipe au complet pointaient du doigt des difficultés de trésorerie. Or les dernières informations en provenance du club nous aurons prouvé que les sanctions occidentales semblent avoir bel et bien eu raison du jusqu'au-boutisme russe.
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En effet le 16 septembre dernier, à la surprise générale, un nouveau président directeur général est annoncé à la tête de la marque Virtus.pro. Cette dernière serait par la même occasion sortie du giron d'ESForce Holding et l'ensemble des parts auraient été rachetées par des investisseurs mystérieux dont la tête d'affiche est ce nouveau président d'origine arménienne totalement inconnu jusqu'alors : Aram Karamanukyan. Celui qui se présente comme un homme d'affaires père de famille qui a réussi dans la finance est un parfait anonyme même pour les moteurs de recherche. Cette transaction a immédiatement eu des conséquences positives pour le club puisque l'on apprenait que le tag Virtus.pro ferait son retour sous son nom en compétition lors de la qualification pour The International 11, événement majeur organisé par le Roumain PGL sous le chapeautage direct de l'éditeur américain Valve. Cette disparition de la bannière neutre Outsiders et le retour du tag originel était l'une des conditions à la vente de l'organisation. Toutefois cette transaction soulève beaucoup d'interrogations encore aujourd'hui et même auprès d'anciens de chez Virtus.pro dont l'ex-directeur général de 2016 à 2020 Roman "dvoryrom" Dvoryankin :
Lorsque je naviguais sur internet et que j'ai vu ce tweet concernant le changement de président, ma première pensée a été que quelqu'un avait piraté le compte de Virtus.pro. Le message avait l'air bizarre. C'était la première fois de ma vie que j'entendais ce nom, alors j'ai immédiatement ouvert Yandex (le moteur de recherche russe : ndlr) et Google pour savoir de qui il s'agissait. La recherche m'a montré un général syrien, né en 1910, donc j'ai été assez surpris. Je n'avais jamais entendu parler de lui auparavant et beaucoup de mes amis ont vu ce nom pour la première fois. Selon moi, c'est un homme qui fait partie des cercles intimes du club et qui a des liens avec Nikolai Petrosyan (PDG d'ESForce Holding d'origine arménienne : ndlr). Considérant que de nombreuses personnes se lancent dans l'esport via de telles connexions, la situation me parait évidente.
J'ai ensuite pensé que l'objectif était d'échapper aux sanctions internationales. VP fait partie du groupe VK, qui est une entreprise publique russe. C'est pourquoi cette annonce semble deux fois plus étrange. Si Aram Karamanukyan contrôle bel et bien Virtus.pro ou est un actionnaire de premier plan avec une capacité de blocage alors, généralement, de telles choses sont annoncées en bourse et cela affecte le prix des actions (ce qui n'a pas été le cas jusqu'à maintenant : ndlr). L'organisation russe Virtus.pro deviendrait soudainement arménienne et se débarrasserait de toutes les sanctions tout en continuant à concourir comme si de rien n'était. Y a-t-il un réel investissement ? Jamais de ma vie je n'y croirai. Il n'y a aucune chance pour que l'organisation et la holding s'en sortent aussi facilement. Ils peuvent mettre qui ils veulent au sommet mais les actions du club sont toujours les mêmes. Il faudra quelques années pour nettoyer leur réputation : tout le monde comprend que la holding est quelque part toujours proche du gouvernement.
En fait cette vente pourrait être tout à fait raisonnable financièrement. VK essaie de vendre ESForce depuis très longtemps. S'il y a quelqu'un qui veut une part, cela peut être profitable pour les deux parties. Évidemment le prix a considérablement baissé par rapport aux années précédentes suite aux sanctions liées au conflit en Ukraine. En règle générale, je pense qu'investir dans une organisation russe sous sanctions est la dernière chose à faire. Le marché étranger est fermé ainsi que les revenus des partenaires. Il n'y aura par conséquent aucun paiement. Cela ressemble plutôt à un remaniement de leurs propres actifs qui ne concerne que le marché intérieur russe.
Roman "dvoryrom" Dvoryankin - Escore News.com
Et pourtant, malgré les doutes concernant la véracité de cette vente et surtout ses contours, les choses semblent rentrer doucement dans l'ordre. Le retour du tag lors de The International 11 serait un premier pas visible, le second serait tout aussi important puisqu'il s'agirait d'accélérer la vente de Mareks "YEKINDAR" Gaļinskis à la Team Liquid. Une transaction qui traine en longueur depuis de nombreux mois maintenant tandis que le joueur est toujours prêté à l'heure actuelle. Sur ces deux sujets centraux, le nouveau président de VP s'est montré rassurant :
Virtus.pro et YEKINDAR sont actuellement en train de finaliser les termes de la séparation. Je ne peux pas encore en dire plus. Veuillez patienter. Je suis encouragé par la décision positive de Valve d'accepter le retour de notre tag et je serais très surpris si la décision des autres opérateurs de tournoi la contredisait. Cependant, dans le monde complexe d'aujourd'hui, tout est possible. Nous avons nous-mêmes contacté ESL pour discuter de la question de se présenter sous le nom Virtus.pro. Nous avons soumis toutes les pièces justificatives et attendons maintenant une décision. Mais nous n'avons pas encore contacté BLAST, donc nous ne savons pas vraiment ce qui est envisagé de leur côté.
Aram Karamanukyan - Dexerto.com
Retrouver son nom en compétition et vendre sa star pour un montant proche du million de dollars, voilà les deux objectifs à court terme pour Virtus.pro afin de retrouver sa place parmi les clubs fréquentables. Pourtant si le nouveau président de l'organisation se veut optimiste et qu'il cite Valve comme ayant participé à ce blanchiment de leur image, rien ne dit aujourd'hui que l'éditeur a effectivement donné son accord. En effet il sous-traite l'organisation de ses tournois à des organisateurs tiers et PGL a déjà prouvé par le passé qu'ils étaient capables d'agir trop promptement avant finalement de virer de bord. Pour l'heure que ce soit l'éditeur ou l'organisateur, hormis un tableau indiquant les noms des participants pour le tournoi qualificatif de la dernière chance à The International 11, rien n'indique que cette décision ait été prise de manière définitive. Notons par ailleurs que sur la scène Dota 2, Virtus.pro n'avait jamais été contraint officiellement d'utiliser une bannière neutre pour jouer et que le nom Outsiders n'avait été utilisé en permanence que sur Counter-Strike: Global Offensive.
Sur le cas particulier du Letton Mareks "YEKINDAR" Gaļinskis, la transaction en revanche pourrait être facilitée par ce changement de destination des fonds. Jusqu'à maintenant ce qui bloquait c'était justement la localisation en Russie et l'impossibilité pour l'organisation occidentale de payer directement en Russie. En revanche le montant réclamé qui serait proche du million de dollars a également été un frein jusqu'à maintenant, OG qui s'était présenté plus tôt dans la saison pour recruter le crack de 22 ans s'était notamment retiré des discussions face à l'impossibilité de baisser ce montant jugé bien trop important, surtout pour un club qui est en situation de faiblesse dans ce dossier.
Alors Virtus.pro a-t-il véritablement changé de main ? Il semble que la réponse soit non et que le nouveau président ne soit finalement qu'un proche des réels patrons qui restent inchangés. Aram Karamanukyan va-t-il parvenir à faire oublier les liens du club avec le régime russe ? Certainement pas tant que tous les détails de cette mystérieuse transaction ne seront pas connus. Ce tour de passe-passe de Virtus.pro semble plutôt indiquer que le club souffre terriblement des sanctions et de l'absence de liquidité, ce qui le pousse à chercher un moyen de se délocaliser tout en conservant la main sur l'un des joyaux du pays.
Prochaine étape afin de réussir son coup, délocaliser les activités en Arménie pour se retrouver dans la même situation que la Team Spirit en Serbie. C'est d'ores et déjà une option envisagée même si pour l'instant rien n'a été officiellement annoncé. Quoi qu'il en soit la direction va devoir agir assez rapidement du fait du durcissement toujours plus important des sanctions à l'écart des Russes. Les joueurs rencontrant d'ailleurs désormais, comme nous vous l’annoncions il y a quelques mois, des difficultés pour obtenir des visas et disputer les tournois à l'étranger. Avec le tournoi RMR (Regional Major Ranking) des Intel Extreme Masters Road to Rio, qualificatif pour le prochain Major, qui débute dès le 4 octobre prochain à Malte (membre de l'Union Européenne), les actuels Outsiders (ex-Virtus.pro) pourraient connaître des difficultés dans l'octroie de leurs autorisations de voyage en Europe. En effet les consulats européens ont désormais le pouvoir de retarder de 15 à 45 jours la remise des visas, ce qui a d'ores et déjà des conséquences pour certains joueurs qualifiés. Il n'est donc pas à exclure, encore aujourd'hui, un forfait pur et simple de l'équipe si son opération blanchiment de dernière minute ne prend pas suffisamment rapidement ou bien si elle n'est tout simplement pas suffisante.
Composition Virtus.pro
- Dzhami "Jame" Ali
- Evgeny "FL1T" Lebedev
- Alexey "Qikert" Golubev
- David "n0rb3r7" Danielyan
- Petr "fame" Bolyshev
- Dastan "dastan" Akbayev (entraîneur)
- Mareks "YEKINDAR" Gaļinskis (sur le banc)
- Timur "buster" Tulepov (sur le banc)
— Virtus.pro (@virtuspro) September 16, 2022