Si la Chine a pris une place d'importance au sein de l'esport mondial, quelques "couacs" ternissent cette histoire d'amour.
La Chine cherche à faire du sport électronique un vecteur de son pouvoir d’influence, le « soft power ». Si ce phénomène a déjà touché la FIFA et le Comité International Olympique pour l’attribution de l’organisation des compétitions (Russie, Qatar, etc.), Pékin joue le jeu de la porosité du milieu du sport électronique, de l’absence de régulation et de la relative indifférence pour avancer ses pions sur les terrains diplomatiques et économiques.
Un agenda diplomatique
La Chine ne fait aucune distinction entre ses agendas diplomatiques et économiques. Les grands groupes de distribution étrangers en sont souvent les premières victimes lorsque les relations diplomatiques refroidissent. Ainsi, Carrefour a subi un boycott à l’époque de la réception officielle du Dalaï-Lama en France en 2008. Le groupe coréen Lotte a été contraint il y a quelques mois à vendre tous ses centres commerciaux, fermés par les autorités locales pour des raisons de « sécurité » douteuses. Il lui était officieusement reproché l’installation du bouclier anti-missile américain sur… un golf lui appartenant en Corée du Sud.
Dans un pays où 80 millions de personnes font partie du parti communiste (plus d’un dixième de la population active), toutes les entreprises, ainsi que le tissu associatif, sont dotées d’une antenne du parti, en charge de relayer la politique idéologique et diplomatique du gouvernement. Cela pousse ces entités à se censurer et à se conformer à l’agenda diplomatique chinois, aboutissant à des situations ubuesques, notamment au regard de Taïwan, un dossier très épineux car la démocratie insulaire est la démonstration de la réussite d’un autre modèle de gouvernement. Ainsi, les réseaux d’influence chinois sont parvenus à faire modifier l’appellation de Taïwan sur les sites de réservation des compagnies aériennes, une modification qui peut paraître risible mais qui a pourtant fait la une des journaux locaux pendant plusieurs jours, vantée comme une réussite et la fin d’une supposée humiliation.
Passée relativement inaperçue en Europe en raison de la faiblesse de l’enjeu esportif, la disqualification de l’équipe CS:GO taïwanaise SadStory des qualifications asiatiques des IEM Katowice début novembre est emblématique de ce nouvel enjeu. L’équipe inscrite dans la région « Asie de l’Est » a été rayée de la liste après avoir écrasé ses adversaires japonais 16-1 au premier tour. Il lui est reproché de ne pas s’être inscrit dans la région Chine, alors que l’île n’est mentionnée nulle part dans le règlement de la compétition organisée par Turtle Entertainment. Les organisateurs ont tenté de se rattraper en offrant une place à SadStory dans son Close qualifier renommé « Grande Chine », un concept qui regroupe la Chine continentale, Hong Kong, Macao et Taïwan. Les excuses données par Michael « CARMAC » Blicharz mettant en cause de prétendus « problèmes de latence » ne convainquent personne et l’ESL s’est sans doute incliné devant une réclamation d’un partenaire local.
Sensibilité à fleur de peau
Ce mois-ci, c’est Carlo « Kuku » Palad, joueur DotA 2 de l’équipe TNC Predator basée aux Philippines qui a fait les frais de propos déplacés tenus au cours d’un match public il y a quelques semaines. À deux mois du master de Chongqing, les autorités locales ont été informées et ont menacé de refuser l’entrée du joueur en Chine ou tout simplement de faire annuler l’évènement.
Des propos d’une violence inouïe…
Le scandale Dolce & Gabbana (le couturier devant annuler un défilé géant à la dernière minute, suite aux propos désobligeants sur la Chine attribués à son co-fondateur) a eu lieu il y a moins d’une semaine. Les groupes occidentaux sont bien conscients qu’en Chine, la moindre rumeur, avérée ou non, peut faire dérailler un évènement et des années d’efforts en quelques heures. Plutôt que d’éviter un esclandre sur place, Valve, qui s’apprête à lancer une version de sa plateforme Steam en Chine, n’a pas eu d’autre choix que de bannir le joueur de la compétition, sans aucun recours possible.
Si la sanction en elle-même n’apparaît pas comme illogique dans le climat politiquement correct actuel, elle pose un fort problème d’iniquité. Les revendications territoriales chinoises sur des îles au large des Philippines, du Vietnam, ou encore l’emprise économique sur le Pakistan, ont récemment provoqué des attentats ou des émeutes antichinoises dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est. Des torrents de boues sont déversés au quotidien par les internautes des différents pays, y compris les joueurs DotA 2 chinois, dont les propos sont d’une violence sans commune mesure avec ceux ici incriminés.
Prise de conscience en Occident
Ces polémiques interviennent alors que l’Occident est de plus en plus méfiant sur les réseaux d’influence chinois. En Australie et en Nouvelle-Zélande, dont les liens économiques avec l’Empire du milieu sont beaucoup plus importants, les scandales de corruption dans les mondes académiques et politiques se multiplient. Aux États-Unis, le constat que la Chine ne respecte pas les règles du jeu diplomatique et économique est désormais partagé par l’ensemble de la classe politique, bien au-delà de Trump. En Europe, c’est la disparition du directeur général d’Interpol qui remet en question la capacité de la Chine à honorer ses responsabilités sur la scène internationale.
Pour le sport électronique, la Chine a été un facteur de croissance majeur au cours de la décennie écoulée. Les compétitions se sont professionnalisées alors qu’on s’était habitué aux péripéties entre problèmes de visas, d’organisation, d’hôtels insalubres et de cashprizes impayés. Le caster officiel DotA 2 GranDGranT ayant menacé de boycotter l’évènement de Chongqing avant que Valve ne fasse tomber le couperet, il est fort probable qu’il revienne maintenant sur sa décision, le bannissement ayant été avalisé par l’éditeur. Les organisations européennes et américaines semblent pour le moment céder très facilement aux revendications de leurs partenaires locaux, impuissantes face à la disproportion entre leur pouvoir de nuisance et le faible impact que ces décisions iniques auront en Occident. Il faudra sans doute attendre qu’une équipe renommée s’y trouve confrontée avant d’observer un retour de bâton.
Modifié le 17/04/2019 à 15:31
Je pense qu'il aurait été bien de parler un peu des Jeux Asiatiques aussi, puisque c'est la Chine qui pousse l'introduction de l'esport dans la compétition (et qui, du coup, a lancé le débat aux JO) ^^
Modifié le 17/04/2019 à 15:31