Entre une fin de saison sans relief chez SK, un passage express mais symbolique à la Karmine Corp Blue, et son arrivée précipitée chez GiantX, Isma a vécu une intersaison instable. Invité de l’émission Chat All animée par Trayton, le jungler français revient longuement sur son parcours, les dynamiques internes de GX, les limites structurelles du LEC, et le rôle sous-estimé du jungler dans un collectif. Un témoignage rare et dense, à contre-courant des discours aseptisés.
Un entre-deux inconfortable
Isma débute l’année 2025 sous les couleurs de SK Gaming, avec qui il dispute le Winter Split. Ce segment de début de saison ne se passe pas mieux que les précédents : l’équipe ne parvient pas à se relancer, et lui-même sent que le projet n’a plus d’avenir. « Je voyais pas de suite possible avec SK. On n’avait pas de synergie, et l’ambiance n’était pas là ». Fin février, il est libéré de son contrat. Il reste alors quelques jours à Berlin, en pleine période de mercato LFL, sans piste précise. C’est la Karmine Corp Blue qui lui tend la main. Il accepte rapidement, attiré par la qualité du projet proposé. Il décrit cette opportunité comme une vraie chance de reprendre sa carrière dans un environnement plus structuré. « Honnêtement, c’était un projet parfait pour repartir. J’arrivais dans une équipe compétitive, avec un staff que je connaissais. J’étais motivé à fond ».
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Mais à peine le temps de s’installer que GiantX le contacte, dans l’urgence : Closer, leur jungler, se retire à la dernière minute. GX cherche une solution rapide, et Isma fait partie des profils disponibles, en forme, et déjà sur place. Il accepte l’essai. S’ouvre alors une période complexe, où il enchaîne les journées de scrims avec GiantX à Berlin et les matchs de LFL avec la Karmine. « Je faisais du 50/50 entre deux équipes. J’étais à 100 % nulle part. Je devais apprendre les plans de jeu de GX le matin, et rejouer dans un système complètement différent avec KCB le lendemain. C’était dur ». Il insiste sur le poids mental de cette période. Deux projets, deux attentes, deux styles, deux vocabulaires. « KCB voulait que je lead, que je sois moteur. GX me demandait d’écouter et de m’intégrer dans une structure existante. Et moi, j’étais entre les deux, sans routine, sans vraie place ».
Rejoindre GX : entre adaptation et construction collective
Isma finit par s’installer à temps plein chez GiantX, mais tout reste à construire. Il décrit une équipe où la parole est partagée, mais où les automatismes ne sont pas encore là. « En early, c’est moi qui parle, logique. Mais après, ça dépend qui est devant. Si c’est Jackies, c’est lui qui call. Si c’est le mid, il prend la main. C’est distribué, mais parfois, c’est le bordel ». Il insiste sur la relation qu’il développe avec Jun, support coréen de GX. « Jun parle bien anglais, il comprend la map. Il fait pas que suivre les calls, il en propose. Franchement, c’est rare. Beaucoup de supports que j’ai eu ne disaient rien. Lui, il est tout le temps en train de suggérer des plays, de regarder les timers ». Ce lien est essentiel, surtout dans une équipe qui n’a pas encore de shotcaller central. « On essaie de faire marcher un truc plus fluide. Mais ça veut dire que tout le monde doit comprendre ce qu’il se passe. Et si l’un d’entre nous perd le fil, la structure s’effondre ».
GiantX est souvent jugée à travers ses matchs officiels, mais Isma insiste sur une réalité bien connue des pros : ce qu’on voit le week-end ne reflète pas toujours la semaine. « En scrim, on est bons. On joue librement. On ose. On punit. On joue notre jeu ». Il parle d’une équipe capable de tenir tête à toutes les grosses structures, à l’entraînement. « On bat tout le monde en scrim. Vraiment. Fnatic, KOI, KC, on a de bonnes stats contre tous ». Mais vient le on-stage. Et là, tout se complique. Il raconte ce moment où la pression change les décisions les plus banales. « Tu veux dive au top ? En scrim, tu le fais sans réfléchir. En match, tu hésites. Tu rates ton timing. Tu te demandes si c’était une bonne idée. Et derrière, tout le plan tombe à l’eau ». Il prend comme exemple la game 1 face à Rogue. « Horrible. On gagne, mais c’est sale. On joue mal, on hésite, on overextend, on récupère les fights parce qu’ils font pire que nous. Mais y’a rien à célébrer dans une game comme ça ».
Jungler : un rôle sous-estimé, une carte mal lue
Isma en profite pour revenir sur les fonctions de jungler, un rôle qu’il considère toujours mal compris, même au plus haut niveau. « C’est pas la méca qui compte. Ce qui compte, c’est la map. La compréhension du tempo, des respawns, des spikes ». Il regrette une tendance à surévaluer les picks flashy ou les carrys soloQ. « Tu peux pas lock Nidalee ou Lillia si ton équipe joue pas pour toi. Et dans 90 % des cas, ton équipe joue pas pour toi ».
Il cite l’exemple de Boukada, jungler au sein de la Karmine Corp Blue au Winter Split de la LFL, pour illustrer cette tension. « Je pense que Boukada est très fort mécaniquement. Mais il joue des picks trop exigeants pour une structure d’ERL. Il aurait besoin d’un cadre plus haut niveau pour briller ». En ce sens, il loue l’apport de Jun, son support coréen chez GX. Contrairement à d’autres imports, Jun parle anglais, prend des initiatives, participe à la lecture de la carte. « Il suit pas juste les calls, il comprend la map, il sait où être. Franchement, c’est agréable ».
Fnatic, G2, KOI : les seuls qui punissent vraiment
Dans une séquence très analytique, Isma passe en revue les autres équipes du LEC. Il commence par G2 : « G2, c’est à part. C’est les seuls qui savent punir correctement. Tu crois qu’ils trollent, mais c’est calculé ». Il décrit une équipe où tout semble naturel, mais où chaque déplacement est pensé à l’avance. « Tu regardes les fights, tu crois qu’ils surchassent, mais en fait c’est millimétré ».
Sur Fnatic, il se montre tout aussi élogieux, mais plus ciblé. « Pour moi, c’est le seul vrai duo jungle-support qui marche. Razork-Mikyx, ça joue ensemble, ça comprend les timings, ça se couvre ». Il regrette que la plupart des autres équipes n’aient pas cette synergie. « En LEC, les duos jungle-support sont faibles. T’as pas l’impression que les mecs savent ce que fait l’autre ». KOI, enfin, est vu comme une structure plus posée. Il parle d’une équipe qui a de bons fondamentaux, mais qui manque encore de danger. « C’est propre. Mais ça fait pas peur ».
Ambitions, progression, et responsabilités
sma finit l’émission en évoquant son propre développement. Il sait qu’il n’est pas encore le joueur qu’il voudrait être. « Parfois je call mal. Je suis flou. Et quand t’es flou, personne ne te suit ». Il insiste sur l’importance du coaching, non pas pour corriger les mécas, mais pour encadrer, structurer, donner des repères. « Le staff, c’est pas juste des mecs qui review. C’est eux qui te gardent stable. Sans ça, tu te perds ». Il dit aussi qu’il a changé. « Avant, je gueulais. Je m’énervais vite. Maintenant, j’analyse plus. Je prends du recul. Je regarde mes games même quand j’ai gagné. Parce que la win cache souvent des sales séquences ». Surtout, il veut construire. Rester. Ne pas refaire une année de plus à bouger tous les six mois. « Avec GX, je veux un vrai cycle. Une vraie progression. Un projet qui dure ».
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