Notre série d'interviews dédiées au vingtième anniversaire d'against All authority se poursuit aujourd'hui avec un joueur qui a fait briller notre équipe Unreal Tournament durant les années 2000 : Florian « Madjar » Toix.

Madjar, dueleur emblématique

Florian « Madjar » Toix a porté les couleurs de l’équipe *aAa* il y a une quinzaine d’années, période durant laquelle il a brillé sur Unreal Tournament puis Quake 4. Il est par ailleurs celui qui a pris sous son aile un certain Michaël « winz » Bignet... 

À l’occasion des vingt ans de la structure, la rédaction est allée interviewer ce grand joueur qui compte plus d’une vingtaine de tournois remportés en LAN. Retour vers le passé.

Comment as-tu découvert l’esport ?

En faisant du Free For All sur Unreal Tournament 99 en autonomie. J’avais installé ce jeu, j’ai commencé par jouer contre des bots puis j’ai vu qu’il y avait des serveurs sans connaître ce qu’était mIRC, sans savoir grand-chose. Étant quelqu’un d’assez acharné, j’ai vite progressé et puis par la suite j’ai rejoint le serveur GOA qui était tout le temps plein. J’aimais beaucoup la rapidité du jeu et j’ai joué jusqu’à commencer à arriver dans les tops du serveur assez régulièrement et à partir de là, j’ai été recruté pour faire du Capture The Flag par un gars qui s’appelle Boubou, qui maintenant a arrêté il y a un moment déjà. Sur Clanbase, on était dans le top 5 en partant de la fin (rire). C’était pour moi hyper cool que quelqu’un ait pu me recruter. C’est là ou j’ai commencé à comprendre ce qu’était l’esport parce que j’ai commencé à faire de la compétition, des matchs et ensuite à partir de là toujours sous UT99 avec l’équipe, on s’est fait capter par une structure anglaise, les Fear. Puis à force d’entrainement et de rigueur, on est monté au classement jusqu’à atteindre le top de Clanbase. Par la suite on a fait des compétitions jusqu’à avoir des performances où l’on se tirait la bourre avec les Ministry of Defence avec qui on s’entraînait assez rarement ensemble, parce qu’on était dans l’affrontement, mais il y avait énormément d’amitié entre ces deux équipes. On était content réciproquement quand l’une des deux équipes réussissait de beaux résultats. J’ai donc fait beaucoup de CTF comme ça lors de matchs aux sommets. C’est comme ça que j’ai découvert et été capté par l’esport. Je n’y connaissais rien, car je n’avais aucune connaissance dans ce milieu, aucun point d’entrée.

Comment as-tu intégré *aAa* ?

Je me souviens qu’à l’époque j’étais dans une équipe en CTF puis j’ai commencé à être connu et reconnu à l'international comme étant l’un des meilleurs attaquants européens. J’ai commencé par la suite à m’intéresser au duel tout simplement parce qu’il y avait des LAN et qu’elles n’étaient pas en CTF. J’avais vraiment une forte envie de compétition, j’ai toujours aimé ça et le challenge. J’aimais les compétitions que je faisais en CTF, mais j’avais aussi envie de me confronter dans le réel. J’ai donc fait ma première LAN à Pau en tant que dueleur et même si je savais que je n’avais pas réellement de concurrence sur cette LAN là, j’avais une tremblote terrible. Il m’a fallu au moins 5 minutes pour viser correctement. Et quand j’ai réussi à faire un kill, deux kills, je me suis senti beaucoup plus à l’aise. Puis à force de résultats, j’ai fini par être repéré par Samy et c’est comme ça que j’ai intégré les *aAa*. Il m’a dit qu’il pouvait de temps en temps me donner une souris, un tapis si je portais le nom de la marque *aAa* et connaissant la grande réputation et le prestige de l’équipe Counter-Strike, c’était une évidence, j’ai accepté d’être *aAa* en tant que dueleur tout en ayant la possibilité de garder mon équipe internationale CTF avec un anglais, un Néerlandais, un belge, un allemand et moi français. Je trouvais ça génial de pouvoir constituer une équipe européenne avec différentes nationalités. C’était le CTF qui m’animait et le duel restait secondaire. Puis avec le temps, j’ai eu envie de performer en duel et de pouvoir porter haut et fort le nom des *aAa*.


Madjar (deuxième en partant de la gauche), participe au Trophée FNAC en 2007

Qui étaient tes partenaires ?

Il y avait Nelkee avec qui jouait en 4v4, Arsenic avec qui je faisais beaucoup de 2v2, Winz que j’ai introduit chez *aAa* et que j’ai beaucoup formé jusqu’à ce qu’il me roule dessus puis Spawn et enfin Thor qui avait un énorme talent. Je suis resté chez *aAa* jusqu’à la fin de la section Unreal Tournament puis j’ai basculé sur Quake 4. Tous ces noms m’évoquent beaucoup de choses, mais en termes de temporalité, je ne sais plus qui est arrivé quand. Je ne me souviens pas avoir beaucoup joué avec Falcon et Zeta.

En 2005 lors de l’ESWC France, on s’attendait à te voir finir deuxième. Que s’est-il passé ?

Je m’en souviens très bien. Je n’ai pas eu de chance. J’ai toujours suivi les études et mes partiels tombaient vraiment mal. Je n’avais pas le choix. Ecko finit deuxième, il avait déjà pris le dessus sur moi à cette époque. Le duel n’était pas ma priorité. C’était le CTF.

Toujours en 2005, tu étais dans un top 5 fr avec Ecko des x' mix puis Spwan et Thor des *aAa*. Au-dessus de vous 4, il y avait Winz, c’est incontestable.

Au début j’étais meilleur que lui, je ne l’ai pas mal entrainé et j’ai vu sa progression fulgurante, cette qualité de dueleur Quake qui apportait un énorme plus dans Unreal Tournament et c’était très frustrant. Il était ma bête noire, il me connaissait trop bien. Je ne pouvais plus le battre. Il m’a très bien compris. Puis ma deuxième bête noire était Spawn.

Pourquoi as-tu basculé sur Quake 4 ?

J’étais souvent sur les podiums des LAN et je côtoyais souvent les joueurs de Counter-Strike et les quakeurs. On a fini par sympathiser et je me souviens d’une fois sur un podium lors d’une compétition d’Unreal où je vais terminer premier, il y avait RaouL qui me dit : « Vous, les joueurs d’Unreal Tournament, vous ne savez pas ce qu’est le duel ». Il m’avait envoyé un gros troll et je lui ai dit que j’allais venir jouer à Quake lui mettre une fessée. J’ai donc du apprendre à faire des circle jumps et il se trouve que dans le même timing Quake 4 est sorti et c’est là où j’ai eu mes plus belles performances au point de mettre une grosse branlée à Saint-Germain à la Gamers Assembly en demi-finale. Et d’ailleurs, ça aussi c’est une histoire ! Il m’avait trollé à la télévision sur Game One et devant l’interviewer, il avait dit qu’il ne savait pas trop ce que Madjar faisait là, qu’il n’était pas si fort alors que c’était la première fois que je passais à la télévision. Un mois après il y avait la GA et je me suis dit, je vais me le faire. Je joue pour gagner Saint Germain que je ne connaissais pas. Quand j’ai vu qui c’était avec le palmarès qu’il avait, je me suis dit que je m’attaquais quand même à un gros morceau. Pendant un mois j’ai dû bosser à fond  et je lui ai mis une grosse fessée à la GA sur le score de  24 - 6. Ce match-là m’a donné une niaque énorme. Cette GA fut ma meilleure performance esport je pense.

En 2006 sur Quake 4, tu remportes l’Assolan face à Astronaute. Tu dis que tu n’es pas du tout déçu par le changement (passer de Unreal Tournament 2004 à Quake 4) concernant les déplacements et que le jeu est vraiment super. Aujourd’hui et avec plusieurs années de recul, tu le penses toujours ?

Il y a un truc dans Quake 4 que je trouvais particulièrement génial, c’est le fait de pouvoir slider et prendre une énorme accélération. Et maintenant quand je vois des champions comme Toxic jouer, c’est magnifique. C’est logique en fait. Je viens d’Unreal Tournament ou l’on avance en saccade. On fait le crapaud et il n’y a pas de possibilité accentuer la vitesse, d’aller plus vite. J’ai beaucoup aimé ça. Je n’ai jamais été un bon strafeur à la Falcuma, mais j’ai toujours apprécié ces déplacements-là.

As-tu des nouvelles de tes anciens coéquipiers Unreal Tournament 2004 ?

Je n'ai pas de nouvelles d'Arsenik, je serais très content d'en avoir parce que j'ai vraiment aimé m'entrainer avec lui. Nelkee, un grand pianiste, j'ai passé beaucoup de temps avec lui, mais je n'ai pas de nouvelles de lui non plus. Je ne suis pas forcément très pro-actif pour prendre des news même si j'en ai l'envie clairement parce que ce sont des gens qui ont fait partie de ma vie et que j'ai aimé côtoyer. Winz, je n'ai plus de contact non plus. Même s'il ne fut pas *aAa*, j'ai encore des contacts avec Skaven avec qui je m'entends très bien, une belle histoire d'amitié, et Ecko que j'apprécie beaucoup. Sinon il y'a aussi les anciens comme Cryman, meilleur défenseur en CTF européen pendant de nombreuses années qui était mon joueur préféré au tout début où j'ai découvert le jeu. Énorme pointure.

Quel est ton meilleur souvenir lié aux *aAa* ?

La fois ou j'ai gagné une LAN avec Arsenik en 2v2 lors le la Lille Eurolan 2004. C'était une super compétition, il y avait du beau monde en face de nous qui nous attendait. On était très soudés avec Arsenik et on fait une excellente performance. Il y a aussi le tournoi By Epic. Je suis allé à Toulouse pour me qualifier. J'avais terminé premier et lors du tournoi principal à Paris, j'avais terminé troisième. C'était la période où j'ai commencé réellement à m'intéresser au duel et c'est là où je me suis fait repérer par *aAa*. Un autre souvenir que j'ai, mais non lié à *aAa* est un match face à GoHLinK. Très très bon joueur. J'ai été amené à l'affronter une fois à Toulouse sur Unreal Tournament 3. J'avais gagné, mais qu'est-ce qu'il m'avait donné du fil à retordre. C'était dur. Je ne le connaissais pas bien, mais je savais qu'il était bon. Il a une excellente gestion du stress, chose que je n'ai pas. Au fond de moi, je savais que j'étais meilleur que lui, mais en compétition officielle lors d'une LAN, je ne pensais pas que j'arriverais à gagner. En tout cas, c'est un mec qui est profondément gentil.

Es-tu nostalgique de cette période ?

Terriblement. J'y pense souvent. La compétition me manque énormément. Je ne suis pas parti parce que j'avais envie de partir, je suis parti parce que j'y ai été contraint. J'avais deux choix. Soit je fonçais dans le jeu vidéo et j'essayais de gagner ma vie avec ça, soit je continuais mon école d'ingénieur pour obtenir mon diplôme et je faisais en sorte de réussir pour pouvoir gagner ma vie et avancer parce qu'à l'époque l'esport n'était pas ce que c'est maintenant. Si c'était aujourd'hui, je n'aurais peut-être pas fait le même choix. J'avais un choix à faire, j'ai douté de moi. Peut-être que je n'étais pas capable d'être un champion sur le long terme. Je ne savais pas de quoi était fait l'esport pourtant j'ai fait des années d'ESWC en tant qu'organisateur, j'ai fait plein de LAN. J'ai toujours poussé pour l'esport mais au fond de moi, je me battais depuis tant d'années alors que les gens continuaient à dire que l'esport n'est pas un sport. Je n'avais pas trop le choix. Je suis arrivé à Bordeaux dans une colocation avec un prêt étudiant sur le dos. Voilà pourquoi je me suis écarté du jeu. Mais la nostalgie est clairement là. Entendre un headshot au Lightning et le bruit d'un combo shock qui claque, ce sont les plus beaux sons qu'on puisse entendre. Le bruit d'un full flack aussi. Tu sens toute la puissance de l'impact, tous les dégâts qui sont derrière. Je crois qu'on tient un top trois ^^.

Si tu pouvais changer une chose dans l'esport, ça serait quoi ?

L'argent. J'enlèverais cet argent de masse qui est venu pourrir le truc. C'est beau, ça fait de la compétition, mais on est quand même l'une des rares générations à avoir eu une vie à côté du jeu vidéo. Maintenant, avec les compétitions qu'il y a, les champions ont de plus en plus de mal à avoir une vie privée. Il y a tellement de millions qui sont en jeu qu'ils en viennent à se droguer, à se pourrir la santé, ils ont des coachs sportifs, des nutritionnistes, des gaming house, c'est un autre monde. Moi j'ai connu l'esport 1.0 où l'on avait une vie et il fallait jongler avec ça. On a une chérie qui râle parce qu'on s'entraîne alors qu'une LAN approche. Il fallait lui expliquer, ça pouvait poser de gros problèmes. Réussir à jongler avec sa propre vie et avoir à côté ce hobby qui est l'esport. Maintenant, ce n'est plus un hobby, c'est un métier et c'est un choix à part entière que de devoir y consacrer tout son temps. Est-ce qu'aujourd'hui j'aurais le même palmarès si j'avais commencé dix ans plus tard ? Je ne pense pas non plus. Donc si je devais retirer quelque chose, ce serait ces excès-là.

Y a-t-il des personnalités ou joueurs qui t'ont marqué ?

Cryman sans hésiter. Moi j'étais un petit joueur entrain de faire des deathmatch et une fois je suis arrivé sur un serveur par hasard et je suis tombé sur lui. J'étais scotché. Il faisait tellement d'exploits à la fois. Il se trouve que maintenant c'est un très bon copain que je vois très régulièrement. Il y a aussi gitzZz, un papi gamer, Cypher le Biélorusse. Lors de ESWC Monde 2006 où j'étais organisateur, j'ai vu ce petit jeune arriver et je me suis dit, mais qui est cet extraterrestre. Il terminera deuxième lors de l'ESWC Quake 4 derrière Winz. Et puis Skaven. Il devait avoir douze ou treize ans et m'a demandé de l'entrainer. A l'époque, j'ai trouvé qu'il serait le meilleur joueur du monde sur Unreal Tournament 2004. Il avait un potentiel énorme pour son âge. Et de le voir progresser à une vitesse vertigineuse. J'aurais vraiment aimé voir Winz vs Skaven, les deux à leur plein potentiel à cette époque. À la fin, il me roulait tellement dessus.

Tu as totalement quitté l’esport ou l’on peut te croiser lors d’events ou quelque part sur un serveur aujourd'hui ? 

Alors, j'aimerais jouer plus. Je me suis permis de rejouer un peu, mais je suis un mec assez binaire. C'est peut-être une déformation professionnelle avec l'informatique, mais je rentre toute mon énergie sur un truc précis et je suis tellement accro aux jeux, j'aime tellement le jeu, que je n'ai pas vraiment de limite. Je commence à me dire juste dix minutes puis je joue quatre heures. Et le lendemain j'ai rejoué quatre heures. J'ai eu un retard énorme dans mon travail. Je sais que je ne suis pas dans la demi-mesure donc je m'écarte volontairement. Je ne peux pas jouer un peu. Si je joue, c'est pour tout donner. La seule LAN que je m'autorisais à jouer était l'Azerty Party une fois par an. Je jouais deux jours non-stop sans dormir à n'importe quels jeux.


Madjar, lors de l'une des cinq Azerty Party qu'il a remportées sur Unreal Tournament entre 2003 et 2006

Tu fais quoi maintenant ?

J'ai créé ma société sur Bordeaux il y a un peu plus de trois ans. Nous créons des objets connectés sur mesure, de la carte électronique à la programmation de celle-ci en passant par l'application mobile, le site web, le logiciel informatique qui permet de faire l'interface entre l'ordinateur et certaines machines, de l'informatique de gestion parce que ça a été mon métier pendant dix ans en tant que chef de projet. On est une société qui aide les autres sociétés à faire un pas vers le numérique.

aAa a 20 ans cette année, ça signifie quoi pour toi ?

Tu sais, des équipes je n'en ai pas eu beaucoup. J'ai été quelqu'un d'extrêmement fidèle. Je pense que c'est l'équipe où je suis resté le plus longtemps. Je n'ai pas eu un parcours long dans l'esport. J'ai commencé en 2003 les mains tremblantes. J'ai commencé à être sérieux en 2004 et j'ai arrêté de jouer en 2008 après avoir fini deuxième à l'Eurocup Unreal Tournament 3. *aAa*, ça signifie le prestige, ça signifie aussi mes plus belles années de gaming Unreal Tournament 2004 en duel. J'avais une énorme fierté de jouer dans cette équipe. Et une sorte de devoir de résultats. Quand je portais ce trigramme, je me devais d'être bon. Je ne suis pas parti de chez *aAa* parce que j'en avais envie. J'aurais pu rester chez eux jusqu'à la fin de la carrière de gamer, je suis parti, car la section Unreal Tournament 2004 a fermé et je n'ai pas été choisi pour intégrer Quake parce que je n'étais tout simplement pas Quakeur. Ils ont repris les Quakeur de Quake 3 et c'est normal. Ils ont repris les meilleurs qu'ils avaient déjà. C'est tout à fait logique. Je ne leur en ai absolument pas voulu, mais c'était frustrant et triste de devoir partir. L'histoire prenait fin. Ça a été un honneur.

Le mot de la fin ?

Merci *aAa*. J'ai un quotidien très chargé en tant que chef d'entreprise ce qui est vraiment éloigné du gaming. Et durant l'interview on a pu replonger là-dedans ensemble, me provoquant une immense nostalgie. Et pour ça, un grand merci !

Les précédentes interviews de notre série « 20 ans » :