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Counter Strike a-t-il sa place dans l'esport de demain ?

 

L'appropriation du sport électronique par les plus grandes masses et l'investissement massif de nouveaux entrants dans ce marché qui n'a plus rien d'une niche sont en train de modifier toutes les règles de l'esport tel que nous le connaissions. Les possibilités d'évolution sont infinies, et nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère d'un esport qui se voudra plus populaire et moins technique. Dans cette course à l'argent et la gloire, certaines licences rencontrent d'avantage de difficultés que d'autres à se faire accepter : c'est notamment le cas de Counter Strike. Considéré comme un jeu violent, il peine à se faire accepter par les médias télévisés et à convaincre certaines marques soucieuses de leur image. Cet état de fait est-il une fatalité ? L'esport télévisé se fera-t-il sans les FPS ? 

 

 

L'apologie de la déresponsabilisation 

 

Le père du meurtrier a déclaré que les jeux vidéo auraient influencé le jeune homme. / Un amateur de jeux vidéo violents mis en examen pour tentative de meurtre. / Il tue son ami à cause d'un jeu vidéo. / Call of Duty responsable du meurtre d'un enfant de 10 ans.

 

Ces phrases choc, souvent utilisées en gros titres, ont toutes été insérées dans des articles de faits divers et publiées par des journaux réputés au cours des quatre dernières années. A chaque occasion, les grands médias ne perdent pas une seconde pour associer un homicide à la violence des jeux vidéo auxquels jouait le meurtrier. Que celui-ci soit un joueur de GTA, Call of Duty ou Counter Strike, on ne fait pas la différence : le titre est accrocheur, fait vendre, et donne lieu à un bon tirage pour le journal qui se contente de surfer sur la vague provoquée par l'acharnement médiatique des grands journaux télévisés. En France, ce n'est pas un scoop, on est très en retard sur le sujet et il a fallu attendre dix ans pour qu'on commence à admettre que les jeux vidéo ne sont pas que néfastes et qu'on n'y comprend pas tout.

 

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Un article qui date de 2015

 

En témoignent Nagui ou encore Antoine de Caunes (des faits qui remontent certes à déjà deux ans), l'esport et plus généralement le marché du jeu vidéo sont incompris et vont même jusqu'à effrayer. Pendant des années, jouer aux jeux vidéo était une passion tabou et les équipes françaises ont pris du retard sur leurs homologues allemands, suédois, nord-américains ou encore asiatiques, souffrant de la frilosité des entreprises au regard de l'image négative générée par cette discipline. Cette diabolisation des médias a fini par s'estomper devant un tel phénomène de société : quel que soit le sujet, il faut vivre avec son temps pour continuer à vendre du papier, quite à accepter sa défaite.

 

De tout temps, la génération adulte a toujours cherché des moyens de se déresponsabiliser de l'éducation de ses enfants. Si le jeu vidéo en a été la victime ces dernières années, c'était la télévision elle-même qui était prise pour cible il y a deux ou trois générations. Le siècle dernier, dans une France plus rurale, certains adolescents n'avaient pas le droit de lire car cela risquait de les détourner du travail manuel qui leur était promis : un contrôle par l'ignorance comme celui développé par George Orwell dans "1984", un roman politique d'anticipation. Ainsi, plutôt que de passer du temps à écouter son enfant et à l'éduquer, une certaine catégorie de personnes a toujours préféré fuir ses responsabilités et fermer les yeux sur les loisirs du petit sans chercher à les comprendre et sans se demander quelle part de responsabilité ils ont dans ce clivage. Aujourd'hui plus que jamais, passer du temps avec ses enfants est assez surfait, et nombreux sont ceux qui sont délibérément assis devant une télé ou à qui on offre un iPad dès le cinquième anniversaire pour avoir un peu de paix.

 

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Un jeu que les médias télévisés ont très bien compris et se sont vite appropriés pour servir leur cause. Depuis bientôt vingt ans, les jeux vidéo sont l'un des principaux concurrents de la télévision en ce qui concerne les occupations d'un enfant sur son temps de loisir. Ne pas faire de cadeau à ce nouveau phénomène de société permet donc de prêcher sa paroisse tout en disant à certains parents ce qu'ils ont envie d'entendre. Si les choses se sont grandement améliorées ces derniers temps grâce à la popularité devenue inattaquable des jeux vidéo, certaines licences jugées plus violentes que d'autres peinent encore à trouver leur place dans le grand bain de demain.

 

 

Quand les marques ont peur

 

C'est par exemple le cas du PSG qui a déclaré ne pas souhaiter intégrer d'équipe FPS dans son projet. Orange, partenaire clef de Millenium, refuse également de toucher aux jeux de tir et n'est associé en rien aux équipes Call of Duty et Counter Strike de la maison mauve. Même Overwatch est exclu. Si ces deux exemples sont parlants sur notre scène nationale, on compte d'innombrables autres très grandes marques investissant dans l'esport et refusant tout lien avec un jeu pouvant être catégorisé comme violent par les médias ou une partie de son public.

 

Et pour cause : si tout le monde semble avoir compris l'intérêt d'intégrer l'esport dans sa politique de communication, un projet autour de la discipline ne constitue qu'une toute petite partie du marketing mix de toutes ces grandes marques. Il est toujours aussi difficile de chiffrer un retour sur investissement et de comprendre toute la dynamique d'un marché en pleine explosion. Qui plus est, les conflits d'intérêt entre les organisateurs d'événements et les équipes participantes rendent toujours l'affichage des sponsors biaisé et les discussions à ce sujet compliquées. Dans ces circonstances, il serait inutile de prendre le moindre risque et de se compliquer la tâche en abordant une scène encore méfiée par le grand public. Cette réflexion est exactement la même que celle que se faisaient les sociétés à l'égard du jeu vidéo lui-même il y a une dizaine d'années. Aujourd'hui, ce sont les FPS qui en font les frais, dans une époque où les mots "terroristes" et "bombes" ne passent pas très bien à l'écran.

 

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Les raisons d'espérer

 

Quel que soit le sujet, c'est toujours la communauté qui a le dernier mot. C'est grâce au phénomène de société qu'est devenu le jeu vidéo que l'esport peut se permettre d'exploser, et si Counter Strike continue d'évoluer dans la même direction que cette dernière année, il sera difficile de le laisser à l'écart. Certains ont décidé de profiter de la frilosité de leurs concurrents pour prendre de l'avance. Le risque existe, bien sûr, mais il offre également la possibilité à ces précurseurs de s'installer durablement sur le marché. Ainsi, pendant qu'Orange n'ose pas tremper le pied dans une eau trop froide à son goût, tournant le dos à l'intégralité d'un marché très puissant, SFR plonge tête la première dans la piscine, sponsorisant l'ESWC et accueillant l'E-League sur une de ses chaînes. L'initiative sera surveillée de très près par les autres marques, car si elle est couronnée de succès, nombreux sont ceux qui ne voudront pas rester en arrière.

 

Llewellys utilisait une comparaison intéressante avec un sport qu'est la boxe. La boxe est un sport violent, pourtant il ne viendrait à l'esprit de personne de dire d'un boxeur qu'il est dangereux en dehors du ring. Si le sport fait polémique, c'est uniquement pour les injustices d'arbitrage répétitives et non pour le sang qui peut parfois couler du nez d'un des sportifs. Comme pour le judo, ce ne fut pas toujours le cas, et il a fallu de la patience, de la vulgarisation pour rendre la discipline suffisamment accessible et populaire pour être acceptée par la télévision et le consommateur moyen. Aujourd'hui, c'est le MMA qui est dans cette situation et se bat pour se faire une place (à noter toutefois que le ministère des sports a fait interdire les compétitions de MMA en France fin octobre). Les FPS seraient donc à l'esport ce que les disciplines de combat sont au sport. 

 

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Le MMA est interdit à la diffusion en France. RLT9, basée au Luxembourg, avait contourné cette interdiction.

 

Enfin, il faut tenir compte de la propension des médias télévisés à suivre un mouvement et s'adapter à la tendance. Pour un journaliste, ce qui est important, c'est d'avoir une histoire à raconter. Pour un reporter qui n'appartient pas à l'esport et découvre ce monde, il n'est pas évident de savoir de quoi parler, alors on raconte une histoire que l'on connaît : la violence, Call of Duty faisant l'apologie du terrorisme... Ca, on maîtrise. L'esport n'a qu'une vingtaine d'années (la première QuakeCon était en 1996) et cela ne fait que trois ans qu'on remplit des stades avec. C'est encore un peu juste pour avoir une histoire populiste à raconter. Cette histoire, elle est en train de s'écrire : le triple titre de champions du monde de SK Telecom T1, Faker et Bengi est une excellente nouvelle dans ce sens. L'arrivée des clubs de foot va également faire beaucoup de bien en apportant des rivalités connues par le grand public : on ne sait pas vraiment parler au JT de la rivalité EU/NA sur LoL, par contre, un match esportif entre le PSG et l'AS Monaco, c'est une belle histoire. Il faut créer un environnement propice à l'immersion pour les médias généralistes. Quand ce climat sera instauré, ayons bon espoir que les journalistes jouent le jeu et mettent en récit nos compétitions pour qu'on voit dans Counter Strike le magnifique terrain compétitif qu'il est et non une apologie de la violence.