Secrétaire bénévole du pôle communication de France Esports, Stéphane Rappeneau définit ainsi sa mission : "Mon travail consiste à écrire les compte-rendus des réunions du pôle communication, corriger les slides du boss et m'assurer que sa cape ne traîne pas par terre". Il dresse pour team-aAa.com un bilan de la conférence donnée par l'association au ministère du numérique à laquelle il a assisté, avant d'interroger Nicolas Besombes sur certains points qui font polémique.
J'étais il y a quelques jours au ministère du numérique, invité à écouter l'association France Esports présenter l'état du secteur en 2018. Dans une ambiance de rentrée, les principaux acteurs de l'industrie étaient présents, avides de savoir s'ils avaient bien fait de quitter leur job de publicitaire pour lessives il y a 5 ans. Mounir Mahjoubi, Secrétaire d'Etat du numérique et grand manitou de la French Tech dont les nombreux clones arpentent les incubateurs parisiens, était également sur scène pour affirmer le soutien du gouvernement "au esport". Expression qu'il a d'ailleurs répétée plusieurs fois pour bien faire saigner nos oreilles et nous faire comprendre qu'il restait du chemin à parcourir.
Au delà de l'exercice un peu académique, pourquoi cette étape est-elle importante ? Retour sur les principaux chiffres de la soirée, emballés avec encore plus de chiffres parce qu'on sait bien que vous aimez ça.
L'esport vs Mario vs Ronaldo vs les Déménageurs Bretons
Difficile à croire quand on se connecte religieusement à Battlenet tous les soirs depuis 10 ans et qu'on connait le meta mieux que ses classiques victoriens...mais l'esport est une niche. Pour donner un ordre de grandeur :
• Le secteur des transports en 2017 : 192 000M€ de Chiffre d'Affaires
• Le football en 2017 : 7 500M€ CA et 35 000 emplois direct & indirects (étude EY)
• Le jeu vidéo en 2017 : 4 300M€ de CA (étude SELL), soit environ 2 fois moins que le football.
• L'esport en 2017 : 26M€ de CA (étude statista), ce qui fait environ 300 fois moins que le football.
Pourquoi des chiffres ?
Si les médias parlent régulièrement de "phénomène de société" en évoquant l'esport, c'est essentiellement parce que les journalistes généralistes travaillent à l'arrache avec des expressions usées. Moi qui ai vécu le phénomène de société des pogs et des crados, j'espère sincèrement que l'avenir de l'esport sera plus brillant. Pour la poignée d'élus qui travaillent dans le secteur, on ne peut nier le fait que le domaine est en ébullition et qu'on a l'impression d'être "là où les choses se créent". Mais pour atteindre la maturité d'un sport classique, les ingrédients à réunir sont nombreux :
• Formation des acteurs : les masters obscurs se multiplent mais attendons de voir ce qui va rester une fois la poussière retombée et des tas d'étudiants sur le carreau avec un diplôme en carton.
• Argent frais des sponsors et investisseurs : les décisions sont prises par des financiers essentiellement sur la base d'un retour sur investissement. Que ce retour prenne la forme d'un reach media, d'un vente de slot LCS, ou de tout autre gain contre-valorisable en euros.
• Stabilité des circuits compétitifs...et des "grands clubs & rivalités" : pour construire une base de fans, développer le merchandising, le storytelling etc.
• Interlocuteurs de référence pour le secteur : bref, une fédération.
• Intérêt du gouvernement, des villes : pour des subventions, des locaux, des articles dans le canard local entre la kermesse de l'école et le mariage de la boulangère, etc.
• Stabilité réglementaire : quel type de contrat de travail, que fait on des lootbox, etc.
• Répartition juste des gains entre les éditeurs et les autres, des droits de diffusion, bref : un business model sain.
L'esport progresse régulièrement. Seulement voilà, dans un monde qui a faim, qui crève de chaud et dont les villes cotières seront bientôt ravagées par des tsunamis, l'esport est rarement la priorité en conseil d'administration. Même la définition de l'esport est récente. Tout commence par une mesure chiffrée de l'intérêt de la population. Et ça, le secteur l'a bien compris, fournissant depuis des années des pelletées de statistiques dont la volatilité et le manque de rigueur rendraient méfiant n'importe quel investisseur. Quand je lis que l'esport progresse annuellement de 25% avec plus ou moins 50% d'incertitude, moi ça me donne surtout envie d'investir dans la pierre. Enfin, sauf dans une ville cotière.
Il s'agit donc de fournir des chiffres qui serviront de référence d'une année sur l'autre, d'une méthodologie criticable du moment qu'elle est transparente, et de la caution du gouvernement, autrement dit : le baromètre de France Esports, Mounir Mahjoubi, et moi, qui fais le fayot au 1er rang en prenant des notes d'un air concupiscent.
Ah, enfin les chiffres
L'article synthétique étant disponible sur le site de France Esports, voilà ce qu'il fallait retenir :
• 5 millions de gens interessés par l'esport, toute pratique confondue : casus, spectateurs, tryhards et quelques millions de joueurs de FIFA en tong dans leur salon qui se font une partie rapide le temps que le match de l'OM/PSG commence à la télé. Ce chiffre a fait polémique mais j'ai envie de dire : pas d'objection pour compter le peuple des claquettes, du moment qu'on ne me fait pas croire qu'ils sont autant engagés que les autres.
• Si l'on restreint aux joueurs qui jouent "avec enjeu" (et c'est bien évidemment cette population qui compte financièrement), on tombe à environ 1 million.
• Les tranches démographiques sont très larges donc peu actionnables. L'esport reste un truc de "jeunes" de 10 à 40 ans, ok cool. Attendons de voir les chiffres détaillés.
• Les genres compétitifs phares : MOBA et sport, suivis des jeux de tir et de cartes, montrant un potentiel de croissance sur chacun de ces genres. Les RTS et jeux de combat, pourtant à l'origine de la discipline, sont à la traîne.
• Les jeux phares : FIFA > LoL > Call of Duty > CS > Fortnite. Classement qui a aussi fait polémique mais qui intègre encore une fois le peuple des claquettes. Là aussi, il faudra attendre le split par catégorie de joueur pour tirer des conclusions. Le plus simple étant encore de regarder les vues twitchs et google trends pour avoir une idée de la popularité d'un jeu.
• Comparé à un sport classique, l'esport "serait" la 3ème fédération en france, j'imagine juste après le football et le tennis.
• Et enfin un radar comparant le consommateur d'esport à l'internaute moyen sur le plan de l'activité physique, sociale et culturelle, dont l'objectif était probablement de troller tout détracteur de l'esport qui se serait glissé dans la salle.
La bénédiction gouvernementale
Une fois la présentation terminée, Mr Mahjoubi a pris le mike pour commenter les chiffres. Verbatim :
• "Il y a des gens dédiés au gouvernement pour suivre le esport, l'esport". Enfin, une personne apparemment. Ce qui malgré tout est une excellente nouvelle car le Curling, sport olympique, n'a probablement pas cette chance. Mais si tu es au gouvernement, que tu t'occupes du Curling et que tu cherches un remplaçant écris-moi tout de suite.
• "L'esport permet de développer des compétences utiles dans la vie, comme le travail en équipe ou la communication." ça a beau être une évidence pour nous, j'ai trouvé que c'était une belle preuve d'ouverture.
• "28% de femmes. Ok, peut-mieux faire, mais c'est finalement mieux que le pourcentage de femmes dans les milieux scientifiques". Même si à haut-niveau les femmes ont disparu, c'est un chiffre honorable qui montre qu'il y a un terrain favorable pour faire évoluer les choses. Là encore, une prise de position pas si triviale que ça, montrant un certain recul.
• "Sur les problématiques d'addiction, le secteur du jeu vidéo a été l'un des premiers à collaborer activement avec les gouvernements...pas comme celui des réseaux sociaux". Que du positif qui devrait rassurer les directrices de comm' des grands groupes du CAC40.
Au nom du père, du fils et du lol. De g. à d. : Mounir Mahjoubi, Stephan Euthine, Nicolas Besombes, Emmanuel Martin et Mr Médiamétrie.
… Après quoi, il a tenté de s'éclipser, se frayant tant bien que mal un chemin entre ses nombreux admirateurs venus lui arracher une connection linkedin.
L'interview de Nicolas Besombes, membre du conseil d'administration de France Esports.
Modifié le 17/04/2019 à 15:28
Merci pour ce dossier, c'est exactement ce que j’attends de team AaA, plus qu'un simple suivie des tournois esport (même si j’apprécie aussi cette facette du site).
Il permet de mettre un peu en lumière auprès de la communauté de gamer le travail de "francis porc", qui a été décrié avant même sa mise en place par bon nombre d'entre nous.
On peut se questionner sur la manières dont ces données seront utilisées et par qui elles le seront, mais le fait est qu'elles sont nécessaires pour pouvoir avoir une vision globale du "phénomène esport".
Cela peut servir notre cause pour enfin déconstruire cette image d'ado boutonneux coupé du monde qu'il traine. Pourquoi serai t’il plus légitime de lire un bouquin ou de regarder un film que de jouer à un jeu video? D’ailleurs toutes les formes de loisirs, d'art .. on été décriés à leur début. Enfin bref je m’égare.
Il serait, je pense, intéressant de refaire un point régulier sur l'évolution de l'association et de ses dossiers afin qu'elle ne passe pas pour une usine à gaz.
PS: petite coquille [...]enseignant-chercheur spécialisé dans l’esport ETR Eprésentant[...]
Modifié le 17/04/2019 à 15:28
Plus sérieusement, merci pour cette analyse, et ce complément d'information apporté par Nicolas Besombes. S'il faut savoir rester critique, il faut également éviter de voir le mal partout.
Je faisais partie des sceptiques à la première lecture des chiffres, mais avec du recul, tenir compte de l'audience "pro, semi pro, amateur, loisir, fans de twitch/esportainement", et pour ainsi dire d'une audience très large qui englobe tout le monde, ça a du sens.
Et puis l'avantage de ces chiffres, c'est qu'ils seront communs à tous les acteurs esport (du moins théoriquement).
Modifié le 17/04/2019 à 15:28
Les humains sont réfractaires au changement, c'est tout :).
Modifié le 17/04/2019 à 15:28
Quand on prend en compte par exemple juste les LCS EU, les franchises coûtent environ 10M€ par équipe.
Alors sans doute que le prix des franchises n'est pas à mettre ainsi dans un CA et que ces 26M€ ne concernent que la France, mais il me semble plus rationnel de prendre les chiffres européens, parce que l'esport n'est pas une discipline nationale (il n'y a généralement pas de championnat de France, sauf sur les jeux secondaires).
Deuxième chose, ce sont les ventes de Skin liées à l'esport par Riot (ou le compendium, et ces trucs là pour Dota). Ce sont des chiffres qu'on n'aura jamais, mais elles sont autant liées à l'esport que la vente de maillots de foot est liée au football. Et un rapide coup d'oeil au site de stats sur l'esport estime le CA mondial à 1 Milliard d'€. Or, je pense que Dota 2 + LoL font déjà plus de CA que ça. Bref, ça me parait flou de définir le CA de l'esport en France, ça ne me parait pas correspondre à quelque chose de très tangible.
D'ailleurs, je pense qu'*aAa* doit déjà taper dans les 40 - 50 M€ de CA mensuel, donc bon...
Modifié le 17/04/2019 à 15:28
A priori les chiffres sont surtout la pour voir l'évolution le l'esport en france -pratique et pognon- dans le temps, l'important étant de gaAarder les même critères.
Au fait, nous n'avons pas l'info du rédacteur de cet article.
Modifié le 17/04/2019 à 15:28
Et puis imagine, on a déjà du mal à s'accorder sur la véracité de chiffres français, alors imagine à l'échelle européenne ou mondiale....
#5 : "Secrétaire bénévole du pôle communication de France Esports, Stéphane Rappeneau définit ainsi sa mission : "Mon travail consiste à écrire les compte-rendus des réunions du pôle communication, corriger les slides du boss et m'assurer que sa cape ne traîne pas par terre". Il dresse pour team-aAa.com un bilan de la conférence"
Modifié le 17/04/2019 à 15:28